Madiba nous a quittés. Oui, Mandela était un héros. Santo subito.
On peut penser qu'il est maintenant de mauvais goût d'apporter un bémol aux
louanges dithyrambiques encensant le martyr qui a sacrifié 27 ans de sa vie
pour la cause, dont la volonté de réconciliation est d'autant plus admirable
qu'il fut condamné à l'issue d'un procès tronqué, mené par l'hystérique
procureur Percy Yutar, le "youpin de service" à qui le pouvoir boer aimait
à confier, dans le temps, les causes médiatiques (qui ajoutera en 1975
l'écrivain Breyten Breytenbach à son tableau de chasse). Cependant, au risque
de jouer les "trouble-deuil", une remise à l'heure de quelques
pendules s'impose.
D'abord, il faut dissiper le mythe
voulant que la minorité blanche devait son haut niveau de vie à l'apartheid. En
substance, il s'agissait d'un système protectionniste qui profitait
essentiellement aux Blancs peu, ou pas qualifiés, lesquels jouissaient de
préférences en matière d'emploi, notamment dans la fonction publique. Les
grandes entreprises s'opposaient au carcan de la ségrégation, laquelle nuit, à
long terme, à ceux qu'elle est censée protéger (tout comme d'ailleurs le
protectionnisme au sens classique du terme, dans le commerce international). La
discrimination se traduit par la diminution du revenu global (Cf. Gary S.
Becker, The Economics of Discrimination.) Les racistes sont aussi
victimes de leur propre mythologie…
De surcroît, on "oublie" trop souvent que la population noire
connaissait le plus haut niveau de vie de toute l'Afrique noire. Sans oublier
que le système judiciaire sud-africain était un peu plus respectable que celui,
par exemple, de l'Union soviétique, la Chine communiste, l'Ouganda (où les
opposants à Idi Amin Dada étaient, à
l'occasion, servis en guise de hors d'œuvre aux crocodiles).
Mais oui, l'apartheid était une ânerie qui devait être combattue, non
seulement en raison des cruelles inégalités économiques : l'Afrique du Sud
était devenue un état policier (encore plus kafkaïen pour les Noirs), censurant
notamment les arts (comment pardonner l'interdiction en 1980 de "The
Wall" de Pink Floyd?..).
Et Nelson Mandela a opté pour la lutte armée (d'accord, d'accord, évitons le
mot "terrorisme"). Fut-ce le bon choix stratégique? Qu'enseigne
l'histoire?
Aux Etats-Unis, en 1955, la ségrégation des autobus à Montgomery (Alabama)
fut combattue par un boycott; pas de bombes : des services de transport
alternatifs. En 1970, une grève postale nationale donna du fil à retordre au
président Nixon. Ici, au Québec, en 1947, un riche entrepreneur versait
systématiquement les cautions des témoins de Jéhovah arrêtés par les forces de
police; la congestion judiciaire qui en résulta déclencha la rage des autorités
provinciales. En 1962, lorsque le gouvernement québécois se heurta à la cabale
des banques (anglophones) concernant le financement de la nationalisation de
l'électricité, il s'adressa avec succès à Wall Street. (Voilà qui aurait dû
faire réfléchir les crétins du FLQ).
Qui dit mieux? Pendant la seconde guerre
mondiale, par l'obstruction bureaucratique, les fonctionnaires italiens ont
sauvé plus de Juifs que toutes les actions héroïques des résistants hollandais.
Que dire de l'efficacité des sanctions économiques, dont le Canada est si fier?
Foin d'un autre mythe. Elles n'ont nullement touché, en elles-mêmes, le
niveau de vie des Blancs. Ce fut essentiellement la population noire qui en fit
les frais. Par l'appauvrissement des Noirs, elles ont stimulé le cycle de la
violence et de la répression. Elles ont abouti dans la mesure où les Noirs
furent réduits à l'état de chair à canon.
Quant aux romantiques révolutionnaires de salon poussant d'assourdissants
hurlements d'indignation, il suffit de les référer à Helen Suzman, une
courageuse députée juive honnie par le caucus parlementaire nationaliste
(calvinisme oblige…), qui assura un soutien politique indéfectible à Mandela,
économiste de formation, farouchement opposée à l'apartheid… et aux sanctions (In
No Uncertain Terms: A South African Memoir).
Au lieu de financer les activités violentes, il eût été plus judicieux de
subventionner, de manière constructive, la guérilla… judiciaire et l'offensive…
économique, à savoir soutenir la création d'entreprises noires. Le plaideur et
le gestionnaire tirent de leur activité des dividendes nettement plus
intéressants que le plastiqueur. Vive la concurrence! Comble de l'ironie, seuls
les titulaires des pièces d'identité indiquant "Bantou" auraient été
éligibles aux subsides… Mais, une telle approche, plus rentable et moins
douloureuse, n'aurait pas servi les intérêts des commanditaires communistes…
Saluons le héros disparu, mais… qui n'avait pas compris, contrairement à
Martin Luther King et à Gandhi, que l'acupuncture est souvent préférable à la
chirurgie lourde, laquelle laisse souvent de douloureuses séquelles…
Son héritage? Une nation arc-en-ciel, mais une administration publique et
une classe politique corrompues jusqu'à l'os. Last but not least, un
président polygame et ignare, arrivé au pouvoir par une révolte de palais, qui
soutient le sanguinaire petit camarade Robert Mugabe, à la moustache
hitlérienne, et qui a exterminé plus de Cafres que tous les chefs d'Etat
rhodésiens et sud-africains réunis.
Parlant de "barbarie", à quand les lacrymales dénonciations de la
tragédie zimbabwéenne?
LP
PS. Pour la petite histoire : un professeur de droit raciste qui enseigna à
Mandela fut accueilli par la suite, à bras ouverts par l'université McGill, où
il termina sa carrière. Le monde est petit : les liens entre Mandela et le
Canada sont vraiment spéciaux...
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