Saturday, March 22, 2014

Le 12 décembre 2013. L'héritage bigarré de Saint-Nelson Mandela

Madiba nous a quittés. Oui, Mandela était un héros. Santo subito.

On peut penser qu'il est maintenant de mauvais goût d'apporter un bémol aux louanges dithyrambiques encensant le martyr qui a sacrifié 27 ans de sa vie pour la cause, dont la volonté de réconciliation est d'autant plus admirable qu'il fut condamné à l'issue d'un procès tronqué, mené par l'hystérique procureur Percy Yutar, le "youpin de service" à qui le pouvoir boer aimait à confier, dans le temps, les causes médiatiques (qui ajoutera en 1975 l'écrivain Breyten Breytenbach à son tableau de chasse). Cependant, au risque de jouer les "trouble-deuil", une remise à l'heure de quelques pendules s'impose.

D'abord, il faut dissiper le mythe voulant que la minorité blanche devait son haut niveau de vie à l'apartheid. En substance, il s'agissait d'un système protectionniste qui profitait essentiellement aux Blancs peu, ou pas qualifiés, lesquels jouissaient de préférences en matière d'emploi, notamment dans la fonction publique. Les grandes entreprises s'opposaient au carcan de la ségrégation, laquelle nuit, à long terme, à ceux qu'elle est censée protéger (tout comme d'ailleurs le protectionnisme au sens classique du terme, dans le commerce international). La discrimination se traduit par la diminution du revenu global (Cf. Gary S. Becker, The Economics of Discrimination.) Les racistes sont aussi victimes de leur propre mythologie… 

De surcroît, on "oublie" trop souvent que la population noire connaissait le plus haut niveau de vie de toute l'Afrique noire. Sans oublier que le système judiciaire sud-africain était un peu plus respectable que celui, par exemple, de l'Union soviétique, la Chine communiste, l'Ouganda (où les opposants à Idi Amin Dada étaient, à l'occasion, servis en guise de hors d'œuvre aux crocodiles).

Mais oui, l'apartheid était une ânerie qui devait être combattue, non seulement en raison des cruelles inégalités économiques : l'Afrique du Sud était devenue un état policier (encore plus kafkaïen pour les Noirs), censurant notamment les arts (comment pardonner l'interdiction en 1980 de "The Wall" de Pink Floyd?..).
Et Nelson Mandela a opté pour la lutte armée (d'accord, d'accord, évitons le mot "terrorisme"). Fut-ce le bon choix stratégique? Qu'enseigne l'histoire?

Aux Etats-Unis, en 1955, la ségrégation des autobus à Montgomery (Alabama) fut combattue par un boycott; pas de bombes : des services de transport alternatifs. En 1970, une grève postale nationale donna du fil à retordre au président Nixon. Ici, au Québec, en 1947, un riche entrepreneur versait systématiquement les cautions des témoins de Jéhovah arrêtés par les forces de police; la congestion judiciaire qui en résulta déclencha la rage des autorités provinciales. En 1962, lorsque le gouvernement québécois se heurta à la cabale des banques (anglophones) concernant le financement de la nationalisation de l'électricité, il s'adressa avec succès à Wall Street. (Voilà qui aurait dû faire réfléchir les crétins du FLQ).

Qui dit mieux? Pendant la seconde guerre mondiale, par l'obstruction bureaucratique, les fonctionnaires italiens ont sauvé plus de Juifs que toutes les actions héroïques des résistants hollandais.

Que dire de l'efficacité des sanctions économiques, dont le Canada est si fier?
Foin d'un autre mythe. Elles n'ont nullement touché, en elles-mêmes, le niveau de vie des Blancs. Ce fut essentiellement la population noire qui en fit les frais. Par l'appauvrissement des Noirs, elles ont stimulé le cycle de la violence et de la répression. Elles ont abouti dans la mesure où les Noirs furent réduits à l'état de chair à canon.

Quant aux romantiques révolutionnaires de salon poussant d'assourdissants hurlements d'indignation, il suffit de les référer à Helen Suzman, une courageuse députée juive honnie par le caucus parlementaire nationaliste (calvinisme oblige…), qui assura un soutien politique indéfectible à Mandela, économiste de formation, farouchement opposée à l'apartheid… et aux sanctions (In No Uncertain Terms: A South African Memoir).

Au lieu de financer les activités violentes, il eût été plus judicieux de subventionner, de manière constructive, la guérilla… judiciaire et l'offensive… économique, à savoir soutenir la création d'entreprises noires. Le plaideur et le gestionnaire tirent de leur activité des dividendes nettement plus intéressants que le plastiqueur. Vive la concurrence! Comble de l'ironie, seuls les titulaires des pièces d'identité indiquant "Bantou" auraient été éligibles aux subsides… Mais, une telle approche, plus rentable et moins douloureuse, n'aurait pas servi les intérêts des commanditaires communistes…

Saluons le héros disparu, mais… qui n'avait pas compris, contrairement à Martin Luther King et à Gandhi, que l'acupuncture est souvent préférable à la chirurgie lourde, laquelle laisse souvent de douloureuses séquelles…

Son héritage? Une nation arc-en-ciel, mais une administration publique et une classe politique corrompues jusqu'à l'os. Last but not least, un président polygame et ignare, arrivé au pouvoir par une révolte de palais, qui soutient le sanguinaire petit camarade Robert Mugabe, à la moustache hitlérienne, et qui a exterminé plus de Cafres que tous les chefs d'Etat rhodésiens et sud-africains réunis.

Parlant de "barbarie", à quand les lacrymales dénonciations de la tragédie zimbabwéenne?

LP


PS. Pour la petite histoire : un professeur de droit raciste qui enseigna à Mandela fut accueilli par la suite, à bras ouverts par l'université McGill, où il termina sa carrière. Le monde est petit : les liens entre Mandela et le Canada sont vraiment spéciaux...

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