Wednesday, January 14, 2015

Le 14 janvier 2015. En France, the show must go on.



Je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.
- Albert Camus (L'étranger)

C'est dans le silence des lois que naissent les grandes actions.
- Marquis de Sade

Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action.
- Henri Bergson.

Ca bouge en France! Fini de… rire. La ministre de la justice Taubira a transmis ses consignes de fermeté aux procureurs en matière d'"apologie de terrorisme" (elle relance aussi le délit de négationnisme…). Elle a été entendue. Les résultats sont là.

L'humoriste Dieudonné, déjà visé depuis plusieurs mois par la vindicte de Manuel Valls, est en garde à vue et peut s'attendre à des poursuites; nul doute que la salle d'audience sera le… théâtre d'édifiants débats sémantiques sur son aphorisme "Je me sens Charlie Coulibaly".

Par ailleurs, il semble que soient ouvertes une cinquantaine d'affaires où serait en cause cette infraction. Et plusieurs condamnations à la prison ferme ont déjà été prononcées.

L'on supposera que la loi réprimant ce genre d'apologie n'est pas elle-même contraire à la liberté d'expression. On tiendra aussi charitablement pour acquis que furent fidèlement rapportés les faits bruts devant les juges, notamment les pestilentielles éructations et obscénités proférées sous l'empire de la frustration, de la colère, de la drogue ou de l'alcool et qu'elles répondent, de prime abord, aux critères de la loi.

Cela dit, il est scandaleux de voir des accusés se retrouver concrètement derrière les barreaux, pour plusieurs mois, voire des années, 24 ou 48 heures après les faits allégués. On ne peut qu'espérer que ces violations des droits de la défense seront censurées par la Cour européenne des droits de l'homme. (Mais dans combien de temps?). Ce ne serait pas la première fois que le système judiciaire pénal français se ferait rappeler à l'ordre…

N'en déplaise à Taubira et à Valls, plus le crime reproché est grave, plus il appelle la pondération, la sereine réflexion et la sobre délibération; les clameurs publiques doivent, a fortiori, inciter le juge à exclure toute précipitation et à ne pas se faire le laquais de la rue. La notion d'indépendance de la justice française ferait presque sourire si les circonstances n'étaient pas aussi tragiques.

Il pourrait y avoir mieux.

On évoque déjà le transfert à la chambre du tribunal correctionnel spécialisée dans les affaires de terrorisme des poursuites visant les prétendus apologistes.

Si les commissions militaires fantoches de Guantanamo ont soulevé bien des protestations, c'est précisément parce qu'elles sont contraires à la tradition juridique pénale anglo-saxonne. Par contre, la France s'enorgueillit d'une longue tradition en matière de tribunaux d'exception, surtout évidemment lorsque le climat socio-politique est trouble.

En l'occurrence, la France pourrait-elle revivre les dérives de l'époque de la guerre d'Algérie? Pour mémoire, signalons deux assassinats judiciaires qui donnent à réfléchir.

En 1962, le lieutenant Roger Degueldre, activiste de l'OAS, fut condamné à mort par la Cour militaire de justice le 28 juin et fusillé le 6 juillet.

Cette exécution fut déclarée illégale par le Conseil d'État le 19 octobre, au motif qu'elle portait atteinte aux principes généraux du droit, notamment par l’absence de tout recours contre ses décisions. Une belle victoire de principe pour l'accusé…

Et un revers temporaire pour le chef de l'Etat... puisque le Parlement vota docilement par la suite une loi de maintien de cette cour pour les affaires pendantes; elle condamna donc à la peine capitale Jean-Marie Bastien-Thiry pour la tentative de meurtre du président "Charlie" De Gaulle lors de l'attentat du Petit-Clamart (laquelle avait échoué) … Et il fut passé par les armes (pas pendu…) une (grosse) semaine après le verdict, le 11 mars 1963.

L'on ne fusille plus au fort d'Ivry.

Cela dit, les procès expéditifs d'inspiration gaullo-maoïste, l'instrumentalisation de la justice, les poursuites de crétins dont les détonations ne sont que verbales, ne constituent qu'une réponse illusoire et démagogique à la réelle menace terroriste. Un piège à cons.

Les authentiques terroristes, et surtout leurs commanditaires, bien rodés - peu susceptibles d'être impressionnés par un premier ministre qui tente de serrer les dents comme Clint Eastwood - peuvent-ils voir dans ces procédures grand-guignolesques autre chose qu'un aveu d'impuissance de la part du pouvoir politique français?


LP


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