Tuesday, October 29, 2024

Censure à la française : au tour de Jordan Bardella.

Le 30 octobre 2024.

Qui veut se connaître, qu'il ouvre un livre.
- Jean Paulhan.

Le président du Rassemblement National, qui fait sa rentrée littéraire en automne avec son livre « Ce que je cherche », ne pourra pas faire de publicité dans les stations de métro parisien ni dans les gares : MediaTransports, en charge des espaces publicitaires pour la SNCF et la RATP capitule sans conditions aux syndicats (La CGT-Cheminots, Sud=Rail). Les arguments invoqués s’inscrivent dans le « running gag » de la censure française, à géométrie très variable, y compris celle dont est coutumière la régie publicitaire : vu que l’auteur est président du RN, il s’agirait de « propagande », de la part d’un parti qui « n’est pas comme les autres », etc.; nulle atteinte donc à la liberté d’expression puisque le syndicat Sud-rail déclare, avec une magnanimité qui frise la faiblesse, ne pas s’opposer au droit de M. Bardella de vendre son opus en librairie.

Inattendu distingo entre « liberté d’expression « et « propagande » puisque celle-ci fait partie depuis toujours de celle-là, d’autant plus que l’exposition de toute doctrine, de tout programme politique, religieux, social… constitue, par définition, de la propagande; « propagare » en latin signifie « répandre », « diffuser ».

Par ailleurs, le RN est un parti politique légal, qui a donc le droit de disséminer ses idées, sans entraves, par tous les canaux de communication légaux. Là encore, on pense à la controverse entourant l’emprunt fait aux banques russes : l’ex-premier ministre Gabriel Attal a accusé M. Bardella lors d’un débat télévisé le RN d’avoir une dette envers le maître du Kremilin. C’était hypocritement faire abstraction de la cabale des banques françaises, aux ordres; comme tout parti légal, le RN était dans son droit le plus strict de se livrer à ses activités et donc d’obtenir des fonds nécessaires à son fonctionnement de toute institution financière, même étrangère, fonds qui furent intégralement remboursés.

Quant aux idées, aux électeurs de se prononcer, librement et souverainement, sur celles qui sont ou ne sont pas comme les autres.

Pour sa part, allant dans le même sens (si l’on ose dire), la régie renégate avance, sans rire, ce très curieux argument : l’affiche projetée montre le portrait de Jordan Bardella barré du titre du livre : Ce que je cherche, ce qui serait contraire « aux principes de neutralité » auxquels l’entreprise se déclare soumise; un lapin qu’elle sort par prestidigitation. Mais il y a mieux (ou pire). Il résulterait de la conjonction de la qualité de « député européen et de président d’un parti politique », de l’auteur et du titre du livre qu’il ne s’agit pas simplement d’un récit autobiographique. Parlant de sens, le service sémiotique de l’entreprise compte manifestement de subtils spécialistes, mais ils semblent présumer de l’acuité d’attention que peut avoir l’usager du métro lambda, en route à l’aube pour le boulot et rentrant chez lui le soir pour le dodo.

On peut s’étonner de jugements a priori concernant le contenu d’un livre qui n’est pas encore publié; voilà qui évoque, mutadis mutandis, les hurlements d’indignation des ayatollahs chrétiens horrifiés jadis par « La dernière tentation du Christ » de Martin Scorcese, d’autant plus regrettables que, s’ils l’avaient vu, ils auraient constaté que ce film, adaptation du livre de Kazantzakis, ne contredisait nullement la doctrine chrétienne. En l’espèce, il est également douteux que les vociférants syndicalistes qui ont obtenu l’annulation du contrat publicitaire aient lu, en avant-première, un exemplaire de l’ouvrage.

Dans un communiqué, Jordan Bardella fait grief à la direction de la SNCF de « céder aux intimidations d'une minorité d'activistes radicalisés » et ainsi de commettre un « dérapage grave ... Aujourd’hui, c'est ma voix qui est censurée, mais demain, ce seront d'autres qui, elles aussi, seront réduites au silence ». Il a tout dit. On ne peut que l’encourager à exercer ses recours légaux contre MediaTransports.

Pauvre pays de Voltaire, qui a un cruel besoin d’un premier amendement à l’américaine, sacralisant la liberté de parole.

La seule réserve, la seule recherche, qu’appelle éventuellement le grimoire en question est celle de la paternité du texte. Le fin lettré qu’est M. Bardella en est-il l’unique plume, ou est-il, pour reprendre l’expression d’un Paul-Loup Sulitzer, un « metteur en livre »? De toute manière, le recours aux « nègres », coordonnés en « studio », est classique en littérature française, d’Alexandre Dumas, jusqu’à Maurice Druon en passant par Alphonse Daudet.

Au lecteur, et notamment au professeur de lettres modernes, de juger, librement et souverainement, sur pièce, le chateaubriandesque produit fini, qu’il soit de nature politique, ou non, selon sa propre grille de lecture. Une recherche qui peut être du temps perdu. Mais cela ne relève pas du ressort des magistrats.

LP

 

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