Le 5 juillet 2020.
Je me suis fait tout petit devant un’ poupée
Qui ferm’ les yeux quand on la couche,
Je m’ suis fait tout p’tit devant un’ poupée
Qui fait « maman » quand on la touche.
- Georges Brassens.
Le 9 juin dernier, la
Cour du Québec s'est prononcée sur un enjeu juridico-social de taille. A
l'occasion de l'affaire R. c. Gagnon,
qui a mobilisé une armée des plus fins limiers canadiens, elle décide qu'une
poupée érotique, ou sexuelle, dont l'apparence est, selon son regard, celle d’un enfant ou d’une jeune
adolescente âgée de moins de 18 ans,
est visée par le sous-alinéa
163.1(1)a)(ii) du Code criminel, lequel réprime l'infraction de possession de pornographie juvénile,
qui "s'entend… de toute représentation… dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un
but sexuel, d’organes sexuels ou de la région anale d’une personne âgée de
moins de dix-huit ans". Elle suit ainsi servilement la jurisprudence Sharpe de la Cour suprême du
Canada, qui enseigne qu'est aussi incriminé par ce texte un personnage
fictif, au regard de l'intention du législateur, à savoir la protection des
mineurs.
Tant la Cour suprême
que le juge Asselin enfoncent une porte ouverte en invoquant la protection des
enfants; et extrapolent tendancieusement à partir des débats à la chambre des
communes et de la jurisprudence, qui se bornent à condamner sans équivoque la
participation de mineurs réels à ce genre d'activités : "l’interdiction s’étend donc aux expressions visuelles de la pensée et
de l’imagination, même dans le domaine extrêmement privé de la création et de
l’utilisation solitaires". Voilà du Saint Augustin pur jus, mais
scandaleusement contraire au
principe fondamental d'interprétation stricte du droit pénal. En outre, il
n'est pas controversé que la "personne" visée par le sous-alinéa 163.1(1)a)(i) doit
être réelle. On voit donc mal comment le sous-alinéa suivant pourrait
magiquement porter aussi sur des personnes fictives sans précision spécifique,
au mépris du principe d'uniformité. Et du bon sens.
Cependant, la Cour du
Québec acquitte l'acquéreur au motif qu'il n'avait pas été prouvé hors de tout
doute raisonnable qu'il avait spécifiquement eu connaissance
de la nature et des caractéristiques de l’objet commandé, qui avait été saisi
avant qu'il puisse le voir. Le
juge Asselin a raté une belle occasion de rappeler à la haute juridiction
canadienne que le mieux est l'ennemi du bien; il aurait pu, et dû, s'épargner
d'inutiles circonvolutions sur les faits en prenant la question de droit à bras
le corps, en répudiant la bien intentionnée, mais inepte doctrine Sharpe, en 2
pages plutôt qu'en 30.
Tout est bien qui
finit bien pour M. Gagnon (sous réserve d'appel), mais la
jurisprudence demeure liberticide.
Gabriel Matzneff était déjà censuré, et nul doute que Michel Polnareff est dans
le collimateur des forces de l'ordre canadiennes, trahi par sa poupée, tellement jolie qu'il en rêve la nuit…
Au lieu de verser dans
le moule des textes légaux leurs toxines, et de projeter, aux frais de la
princesse, leurs "propres" fantasmes sur des figurines schématisées
vaudouesques (pauvre Picasso…), à l'instar des patients invités par leur
psychiatre à "interpréter" des taches d'encre dans des feuilles de
papier pliées, la "thought police", les procureurs et les magistrats
canadiens seraient mieux inspirés de cesser de gaspiller leurs énergies sur des
crimes de pensée orwelliens.
Il ne semble pourtant
pas y avoir, par exemple, de pénurie d'(ex-)enfants martyrs, de chair et de
sang, et non pas de plastique et de caoutchouc, des deux sexes, ayant subi les
soyeuses caresses et intromissions de criminels ecclésiastiques (forcément)
endurcis, refusant d'entendre les multiples "non" couinés par leurs proies
agenouillées et sanglotant de terreur, et qui réclament protection, ou justice,
selon le cas.
LP
No comments:
Post a Comment