Wednesday, July 15, 2020

Remaniement ministériel en France : la valse des gardes des sceaux.




Le 15 juillet 2020.

Audrey Crespo-Mara : Si on vous proposait un poste de ministre de la Justice, vous l'accepteriez?
Eric Dupond-Moretti : Non.
ACM : Sûr?
EDM: Oui, sûr…D'abord, personne ne me le proposera, ce serait un bordel, mais alors…Personne n'aurait l'idée sotte, totalement incongrue, invraisemblable, de me proposer cela, et moi, franchement, je n'accepterais jamais un truc pareil, non!
ACM : Pourquoi?
EDM : Ce n'est pas mon métier. Faut en avaler des couleuvres, pour faire de la politique.
(Avril 2018).

Moi, je suis franco-italien, j'ai la double nationalité, et ma latinité m'a permis quelques incartades quand j'étais plus jeune donc j'ai sifflé quelques filles qui traversaient… Ca coûte 90 balles? Ca, ça doit être réglé par la bienséance, pas par la loi.
- Eric Dupond-Moretti. (Novembre 2018).


Signalons d'abord la triomphale réhabilitation de Nicole Belloubet!

Les citoyens (surtout français) soucieux des libertés publiques se souviendront que l'ex-ministre de la justice française (ici, l'adjectif se rapporte à l'ex-ministre, pas forcément à l'institution) avait déclaré que "l’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave", à l'occasion de l'affaire Mila, où une jeune lycéenne de 16 ans avait été menacée de mort après avoir tenu des propos injurieux sur l’islam et son prophète, l'époux d'Aïcha. Cela lui valut de la part des commentateurs le moindrement versés en droit public français une note de "zéro" ("tout rond" ou parfois "pointé" comme le disent les instituteurs de France et de Navarre aux cancres) en droit constitutionnel.

Cependant, que l'ex-membre du conseil constitutionnel français se réjouisse : au moment de sa sortie, la doctrine Belloubet vient tout juste d'être spectaculairement avalisée par une jurisprudence du tribunal de Tunis (évidemment, nul n'est prophète en son pays). Emna Charki, 27 ans, a été reconnue coupable d’atteinte à la religion et d’incitation à la haine pour avoir publié sur Facebook cette parodie de verset coranique : "Il n’y a pas de différence entre rois et esclaves, suivez la science et laissez les traditions (…). Ainsi parle le grand Jilou." évoquant l’épidémie due au coronavirus. L'auguste juridiction temporelle a prononcé la sanction divine : six mois de prison ferme. Il faut rendre hommage aux forces de l'ordre tunisiennes, qui avaient convoquée l'infâme dès le lendemain de l'affichage de cette insolente satire et l'avaient inculpée d'"atteinte au sacré", et d'"atteinte aux bonnes mœurs et incitation à la violence".

(Cependant, les vrais croyants verront dans la peine prononcée un scandaleux laxisme : on aurait plutôt envisagé une condamnation de l'hérétique à la lapidation et/ou la crucifixion).

Cela dit, les cyniques français en matière d'administration de la justice peuvent peut-être reprendre espoir. La Belloubet est remplacée au gouvernement par l'avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti. On comprend que la magistrature est mal à l'aise vu la nomination de celui qui expose, cliniquement, depuis des lustres, l'état de déliquescence de l'institution judiciaire française, notamment son corporatisme. Fabrice Burgaud, Céline Parisot, et associés, peuvent éventuellement voir une "déclaration de guerre" dans l'arrivée de l'avocat qui contribué au sauvetage des martyrs judiciaires dans l'emblématique affaire Outreau. Qui se sent morveux se mouche.

Détail cocasse, un procureur de la république, Jean-Luc Lennon (ne surtout pas confondre avec John "Imagine" Lennon) a onctueusement invoqué une "clause de… (ahem) conscience" pour demander à être déchargé de ses fonctions suite à cette nomination, sussurant chanoinesquement son inquiétude sur le plan de l'indépendance du parquet. Alors qu'est précisément au cœur du projet de M. Dupond-Moretti la scission du parquet et des juges du siège, une évidence depuis des siècles en droit anglo-saxon, M. Lennon, qui, manifestement, n'est pas une autorité en droit comparé, prône le maintien du système actuel, où juges du siège et procureurs portent tous le "même maillot" de magistrats.

Que l'on se rassure, la conscience de M. Lennon n'appelle pas sa démission : il continuera de toucher son traitement de l'Etat français et, dans quelques années, une belle retraite. Il retournera dans un premier temps au parquet général, qui est lui aussi placé sous l’autorité hiérarchique du… ministre de la justice. D'aucuns posent cette question : son annonce, médiatique, constitue-t-elle une première étape avant une éventuelle mise en disponibilité (sans arrière-pensée politique aucune pour la suite, cela va de soi, incompatible avec la "sérénité" qui sied à tout magistrat français) ou avant un passage vers… le siège. Les paris sont ouverts. A suivre.

On souhaite bonne chance au compagnon d'Isabelle Boulay, qui connaît la musique, et qui devra nettoyer les écuries d'Augias. Plus difficile encore, combattre le gluant héritage de Tomas de Torquemada.

LP

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