Monday, February 5, 2018

Les législateurs polonais et israélien singent leurs homologues français et turc.



Le 5 février 2018.
                               
L'historien est dans la position d'un physicien qui ne connaîtrait les faits que par le compte rendu d'un garçon de laboratoire ignorant et peut-être menteur.
- Charles Seignobos (La Méthode historique appliquée aux sciences morales) .

Chacun son métier, les vaches seront bien gardées.
- Florian (Le vacher et le garde-chasse).

C'est fait : le sénat polonais a approuvé il y a quelques jours un projet de loi qui punit par des amendes ou jusqu'à trois ans d'emprisonnement les personnes qui attribuent "à la nation ou à l'Etat polonais" des crimes commis par les nazis allemands en Pologne occupée. Les conservateurs au pouvoir en Pologne frémissent d'horreur devant l'expression "camps de la mort polonais".

Pour l'instant, le président polonais, Andrzej Duda, n'a pas encore apposé sa signature sur ce torchon.

En Israël, on est courroucé par une tentative de nier la participation de certains Polonais à la solution finale. En réaction, on ne fait que reprendre cette démarche puisée dans les eaux troubles du confluent de la Seine et de la Vistule :  une proposition de loi a été présentée au parlement, laquelle introduit une peine de cinq ans de prison pour ceux qui "réduisent ou nient le rôle de ceux qui ont aidé les nazis dans les crimes commis contre les Juifs"… On s'interroge sur l'utilité pratique de ce texte législatif car on peut douter qu'il se trouvera dans le territoire concerné une masse de contrevenants à cette injonction.

Chose plus grave, sur le plan des principes, il faut une bonne dose de mépris des libertés publiques, et surtout de la liberté d'expression, pour ne pas comprendre, ou feindre de ne pas comprendre, qu'il n'y a nulle différence entre une loi pénalisant le négationnisme des génocides et une loi imposant ce négationnisme, qu'il s'agisse des Juifs ou des Arméniens. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien a parfaitement raison de dire : "Israël considère avec la plus grande gravité toute tentative de contester la vérité historique. Aucune loi ne changera les faits". Dommage qu'à la Knesset, on est incapable de tirer les inférences de ce truisme! Par exemple, chacun doit rester libre de proclamer que la terre est plate; on peut, en effet, raisonnablement espérer que la théorie de la rotondité de notre planète résistera d'elle-même aux assauts des contestataires sans l'assistance de sanctions pénales réprimant le révisionnisme astronomique.

Que les juges s'en tiennent à leur mission déjà lourde : vérifier, de préférence en toute indépendance et en fonction de preuves non-falsifiées, la réalité des faits reprochés à des accusés précis. Il n'est pas de leur compétence d'imposer à quiconque une écriture, ou une réécriture de l'histoire, allant dans un sens ou dans l'autre. Elle appartient aux seuls historiens, dont les conclusions ont toujours été matière à révision, partielle ou totale, depuis Hérodote, hors des salles d'audience.

En l'occurrence, il faut rappeler aux (vrais et faux) ignares un fait historique incontournable : en 1898, Emile Zola fut un "négationniste" (avant la lettre) et il fut persécuté par la vermine antisémite et une magistrature aux ordres. Deux gluants slogans se répandirent à l'occasion pour justifier un progrom judiciaire : "vive l'armée!" et surtout… "chose jugée"). Pourtant, en droit pénal, est toujours possible théoriquement (en France, très théoriquement…) la révision d'une condamnation en fonction de faits nouveaux.
                      
A fortiori, la science et l'histoire, par définition, se nourrissent de faits toujours nouveaux, qui  appellent donc des remises en question perpétuelles et elles ne connaissent ni délais, ni limites d'appel. Il n'y a que les systèmes totalitaires et religieux (le lecteur excusera ce pléonasme) pour aspirer à la clôture définitive des débats sur le fondement de décrets sacro-saints, ou assimilés, fussent-ils artistement ornés de tampons et revêtus de sceaux de cire.

LP

PS. Le 6 février 2018. Dernière minute. Le pantin Andrzej Duda annonce qu'il trempera sa plume dans le venin, ou peut-être même dans le sang, et apposera son paraphe à ce pacte faustien.

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