Sunday, July 2, 2023

Fin de la “discrimination positive” aux États-Unis. Vraiment?

Le 2 juillet 2023.

 

Donne au sage, et il deviendra plus sage; Instruis le juste, et il augmentera son savoir.
- Proberbes 9:9.
 
Rien ne me fait douter davantage de la fameuse égalité des chances que l'héritage.
- Philippe Bouvard.
 

À six contre trois, la Cour suprême américaine vient de trancher, par l’arrêt Students for Fair Admissions c. Harvard : l’”affirmative action” n’a plus sa place aux Etats-Unis en matière d’admission aux universités. Exit les facteurs ethniques. Pavoise l’ex-président américain Donald Trump, qui annonce triomphalement sur Truth Social : We’re going back to all merit-based—and that’s the way it should be!”. En effet, quel plus beau symbole de la méritocratie que le fondateur self-made man de la Trump University? Only in America!

(Parmi les six figure, ironiquement, le juge Clarence Thomas, grand amateur de films documentaires, dont la carrière entière, y compris sa nomination à la Cour suprême, est due à la discrimination positive. On se fût attendu à ce qu’il se récusât vu la nature de l’afffaire, mais cet ami des millionnaires ne l’a pas entendu de cette oreille.)

Un beau jour pour Edward Blum, président et membre unique du “Project on Fair Representation” qui a orchestré cette procédure; il déclare : 

“When we talk about diversity, we are not talking about individualized characteristics of individual students, we are talking about how they look and what the diversity movement really fails to understand is that how a student looks does not tell us anything about who that student is, what is important to that student, the various qualifications and interesta and likes and dislikes.”

L’on admettra que l’efficacité du principe même de la discrimination positive est susceptible d’arguments contraires, mais c’est un pur sophisme de feindre de voir dans cette mesure réparatrice d’injustices séculaires une “discrimination” au sens de la loi. Le législateur américain accorde à l’occasion globalement des avantages collectifs à des catégories de personnes envers lesquelles le pays a une dette; par exemple, les anciens combattants, ont certaines facilités pour accéder à la fonction publique; traditionnellement, certaines universités elles-même leur accordent un traitement préférentiel en matière d’admissions. L’ancien président George Herbert Walker Bush (père de Dubya) reçut son diplôme d’économie politique de l’université Yale au terme d’un programme allégé de deux ans et demi au lieu des quatre ans traditionnels au titre de vétéran de la seconde guerre Mondiale.

(Il faudrait informer tant le juge Thomas qu’Edward Blum que, selon la loi allemande, les juifs, ayant notamment des racines en Europe orientale, disposent de certains avantages particuliers, par exemple en matière d’immigration; ils seront peut-être étonnés d’apprendre que l’Allemagne ne semble pas avoir une armée d’Edward Blums bataillant pour déférer la question au Bundesverfassungsgericht).

L’on admettra volontiers aussi que la chevelure blonde, les taches de rousseur, ou les yeux bleus d’un étudiant originaire du Minnesota ne sont pas très instructifs quant à l’intéressé. Par contre, on répondra fermement à M. Blum que, dans le contexte américain, un teint cutané basané et des cheveux plus ou moins ondulés constituent bel et bien, de prime abord, la première page d’un long et sinistre livre d’histoire.

Par analogie, on peut aussi penser aux bénéficiaires d’un recours collectif ("class action"0, par définition global, mais plus gérable qu’un déluge de réclamations individuelles.

Les conservateurs américains sont les principaux propagateurs du mythe voulant que ce fut l’”affirmative action”, mise en place pendant les années 1960, consistant en la prise en compte de critères ethniques, qui constitua une innovation qui sonna le glas de la méritocratie stricte suivie jusqu’alors. Cette fable est d’autant plus pernicieuse que la société américaine e nest une qui vit au présent, sans vision historique.

Jusque dans les années 1920, les demandes d’admission ne se faisaient pas sur dossier, ni même par concours : chaque postulant se présentait à un examen d’entrée (peu exigeant d’ailleurs), auquel il réussissait, ou échouait. En résultait son admission, ou son rejet, purement et simplement. Vu que ces soit-disant grandes institutions du savoir n’étaient en substance que des clubs sociaux conçus pour l’élite sociale WASP, ce système avait quand même pour inconvénient d’ouvrir les portes à une trop grande proportion d’étudiants juifs. Une abomination. Mais on pouvait compter sur la proverbiale “American ingenuity” de l’élite pour combattre cette répugnante infestation : il fallait régler “the Jewish problem” et repousser “the Hebrew invasion”.

On découvrit tout à coup qu’une simple note obtenue à un examen ne donnait pas le “portrait complet” de l’étudiant. Maisnonmaisnonmaisnon, il fallait tenir compte de l’ensemble de sa personnalité, de son expérience, de ses antécédents, de sa motivation, etc.. D’où la nouvelle procédure de candidature sur dossier et, comme par hasard, on a pu alors donner leur chance à de solides rednecks blonds du Kansas susceptibles d’intégrer l’équipe de football, plus conviviaux que les cérébraux et malingres juifs, au teint olivâtre, à lunettes posées sur un nez crochu, friands de gefilte fisch, et trop récemment sorti du shtetl. De nombreuses institutions conservèrent par ailleurs, très ouvertement, des quotas visant aussi les Afro-Américains, Latinos...

 noter que les resquilleurs particulièrement retors ont parfois eu l’outrecuidance de présenter leur candidature après modification de leur nom de naissance, mais ils étaient vite repérés par des services d’admission aguerris, à qui on ne la faisait pas : quand on est né à Buczacz, en Galicie orientale, on ne s’appelle pas Sheldon Rose, mais Shlomi Rosenczveig.).

Sans oublier le système des “legacies”, qui n’a pas encore disparu : certaines institutions favorisent officiellement les enfants de leur anciens.

(Il est difficile de ne pas voir l’analogie avec les “grandfather clauses” dans les Etats du Sud, une technique juridique utilisée après 1865 selon laquelle, pour être électeur, il fallait avoir eu un grand-père électeur.)

Les candidats “preppies” (voir “Le cercle des poètes disparus” avec Robin Williams en v.f., pour l’ambiance), sur lesquels on peut compter pour faire plus tard, à leur tour, des donations à l’association des anciens étudiants (qu’on désigne du délicieux euphémisme de “candidates with development potential”) peuvent “acheter” leur place, et... la place de leurs propres enfants plus tard. Un cercle “vertueux” (si l’on ose dire pour ce genre de pacte faustien), mais plus question de briser le “cercle vicieux” de la misère des étudiants issus du ghetto : le Noir de Flint (Michigan), biberonné à l’eau du robinet empoisonnée au plomb et atteint de troubles neurologiques, ayant fréquenté l’école publique délabrée du quartier et fait ses devoirs le soir au son des coups de feu échangés par les trafiquants de drogue, aura un peu plus de mal à présenter un dossier concurrentiel à l’université du Michigan, mais il lui restera le Kalamazoo Community College et même le Northern Virginia Community College (NOVACOCO), nettement plus abordables financièrement.

Il faut méditer ces judicieuses observations du juge Thomas : 

I have long believed that large racial preferences in college admissions “stamp [blacks and Hispanics] with a badge of inferiority... They thus “tain[t] the accomplishments of all those who are admitted as a result of racial discrimination” as well as “all those who are the same race as those admitted as a result of racial discrimination” because “no one can distinguish those students from the ones whose race played a role in their admission.... Consequently, “[w]hen blacks” and, now, Hispanics “take positions in the highest places of government, industry, or academia, it is an open question . . . whether their skin color played a part in their advancement... The question itself is the stigma—because either racial discrimination did play a role, in which case the person may be deemed ‘otherwise unqualified,’ or it did not, in which case asking the question itself unfairly marks those . . . who would succeed without discrimination.”

En effet. Par contre un George Dubya Bush (fils de George Herbert Walker) n’a jamais été frappé de cette cruelle marque d’infamie à Yale (l’université de papa), ni les étudiants admis sur la promesse “codée” de leur père de financer un nouveau centre sportif à l’entrée duquel figurera une plaque nominative. On est loin du petit “coup de pouce” aux minorités, impitoyablement retoqué par la haute, très haute juridiction américaine.

Cette controverse devrait, en fait, inciter à la réflexion sur le fétichisme des universités américaines “prestigieuses”. Exception (importante) faite des programmes scientifiques, ces institutions ne sont souvent, en substance, que des réseaux relationnels (à peine) déguisés. Il en coûte par année scolaire 63 000$ pour étudier l’histoire de l’art à Columbia, mais si l’on ventile ce chiffre, la réalité est que l’on paye environ 30 000$ de frais de club occultes et 33 000$ au titre de la scolarité proprement dite. Le recrutement des enseignants se fait trop souvent par cooptation, sans prise en compte de leurs capacités pédagogiques. Combien de facultés de gestion et de droit comptent des politiciens vedettes, et d’étudiants n’ayant jamais lu plus que 20 livres dans leur vie?

Et que de tripotages pour bien figurer sur le "QS World University Rankings", l'attrape-nigaud par excellence.

Le truculent président Lyndon Johnson avait dit du regretté Gerald Ford, avant son accès à la plus haute magistrature : “He can’t fart and chew gum at the same time.” Et pour cause : "He's a nice fellow but he spent too much time playing football without a helmet.” Pourtant, ce dernier obtint son diplôme de droit de l’université Yale à un rang honorable. Plus récemment, George Dubya Bush (le fils du père), un cancre au secondaire, obtint son Bachelorr of Arts en... histoire (authentique!) de Yale et devint un gestionnaire certifié par le M.B.A. de Harvard... À l’instar de nombreux condisciples émoulus de cette B-School, il amènerait à la faillite les unités de l’empire pétrolier Bush dont le clan l’avait chargé (ces erreurs de gestion ne seraient d’ailleurs pas ses dernières).

Ce qui distingue Harvard et Yale du City College de New York, ce sont leurs confortables locaux plus lambrissés, ornés de portraits d’anciens donateurs barons voleurs.

Le juge Thomas conserve triomphalement son titre de “honorary white”, tandis que Edward Blum décroche le prix Roy Cohn. La discrimination (très) positive a encore de beaux jours devant elle pour les épiscopaliens détenteurs de comptes bancaires bien garnis à Jersey, paradis fiscal garantissant le secret bancaire (à ne pas confondre donc avec "Joysey") et leurs mioches.

LP

 

No comments:

Post a Comment