Thursday, November 25, 2021

“Jogging while black” ne constitue pas un crime passible de la peine de mort.

 Le 26 novembre 2021.

On a déclaré qu’il fallait d’abord la justice et que, pour la liberté, on verrait après; comme si les esclaves pouvaient jamais espérer obtenir la justice.

- Albert Camus.

Une révélation-choc et une immense déception pour Eric Zemmour, cet érudit connaisseur de l’administration de la justice américaine : même en Géorgie (cadre du champêtre film “Deliverance”), un Noir sportif, a le droit de courrir en toute quiétude sans se faire assassiner par des rednecks. Une audacieuse construction jurisprudentielle, résultant du verdict de culpabilité pour le meutrre de Ahmaud Arbery.

Le plus étonnant dans cette affaire est, précisément, que les accusés aient décidé d’affronter le jury. Vu les faits, une entente de plaidoyer coupable avec le ministère public fût en principe allée de soi. Il s’ensuit que leurs défenseurs comptaient bel et bien sur le jury pour décréter que la terre est plate, comme ce fut le cas naguère à l’occasion de l’affaire Rodney King. Il est vrai qu’ils avaient en tête l’exemple prometteur de Kyle Ritterhouse, l’arroseur qui a réussi à se faire passer pour l’arrosé. Mais c’était notamment mal connaître la sobre intégrité intellectuelle du juge Timothy Walmsley, qui n’a pas “orienté” les débats, contrairement au guignolesque juge Bruce Schroeder.

En effet, par exemple, Me Kevin Gough tenta de faire exclure de la salle d’audience les pasteurs noirs (comme Jesse Jackson ou Al Sharpton...) au motif que leurs congrégations ne se trouvaient pas dans le comté de Brunswick : très sérieusement, il voulut y voir des tentatives d’intimidation des jurés.

Il y eut mieux. Beaucoup mieux.

Dans son émouvante plaidorie, Me Laura Hogan avança, sans rire, l’argument suivant :

"Turning Ahmaud Arbery into a victim after the choices that he made does not reflect the reality of what brought Ahmaud Arbery to Satilla Shores in his khaki shorts with no socks to cover his long, dirty toenails”.

 Un argument fort créatif en l’espèce, qui a dû immédiatement emporter la conviction d’un Eric Zemmour (dont l’esprit critique fut aiguisé par les circonstances fort similaires du décès de George Floyd), lorsqu’il en lut la traduction, mais lequel, bizarrement, ne brisa pas la glace dans la salle d’audience. Nul doute que des survêtements Adidas eussent été de bien meilleur goût et que le port de chaussettes eût été fort judicieux, mais, apparemment, les “12 hommes en colère” n’ont pu retenir un moyen de défense puisé dans des considérations d’élégance vestimentaire sportive et de pédicure. Ultime déception, ces accusés, de purs esthètes, inconditionnels de l’asepsie, n’ont même pas eu droit aux circonstances atténuantes à ce titre.

D’aucuns veulent voir dans ce verdict un gage d’efficacité de la justice américaine puisque 11 jurés blancs et 1 juré noir ont, au final, reconnu l’évidence, après les manoeuvres du bureau du procureur d’étouffer l’affaire, compréhensible vu les antécédents du trio : Gregory McMichael, était un ancien policier et enquêteur pour le bureau du procureur de 1995 à 2019; son fils,Travis McMichael, ex-membre de la garde côtière, avait suivi une formation policière; et un sympathique voisin, William Bryan.

Faut-il voir un signe d’ouverture d’esprit chez les croyants qui reconnaissent que Galilée avait raison?

Les observateurs avertis de l’actualité judiciaire américaine ne doivent pas perdre de vue les innombrables victimes noires de la “war on drugs” qui remplissent les prisons exploitées par des entreprises commerciales privées, de l’érosion de leur droit de vote, et des brutalités policières au quotidien.

Ce verdict n’est-il qu’un louable, mais simple accident de parcours médiatique, ou est-il le point de départ d’une transformation sociale?

LP


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