Monday, March 29, 2021

Les délires du professeur Amir Attaran, ou le problème de la liberté académique.

Le 29 mars 2021.

With regard to freedom of speech there are basically two positions: you defend it vigorously for views you hate, or you reject it and prefer Stalinist/fascist standards.

- Noam Chomsky.

Un professeur de droit de l'université d'Ottawa, Amir Attaran, suscite la controverse au Québec (pas dans le Canada anglophone évidemment). Selon lui, le Québec est une société raciste, il est même l'"Alabama du nord" et le premier ministre François Legault est un "suprémaciste blanc". Rien que ça.

On dénonce cette dernière forme de "Québec bashing" et d'aucuns réclament le renvoi du juriste et la démission du recteur Frémont. Sont donc en cause la liberté de parole, et la responsabilité des universités.

Examinons un intéressant précédent en la matière, impliquant le grand chantre canadien des droits de l'homme à travers le monde, Irwin Cotler, jadis professeur de droit à l'université McGill.

Les Québécois d'un certain âge, et d'un âge certain, se souviendront que, lors de la victoire-surprise du Parti québécois aux élections provinciales en novembre 1976, les partisans du nouveau governement ont chanté la chanson "Demain nous appartient" dont l'auteur était Stéphane Venne. Le réflexe pavlovien de Cotler fut d'accuser les vilains séparatistes d'avoir repris, en français, la chanson de style nazi "Tomorrow belongs to me" composée pour le film "Cabaret"; ce sinistre canard fut relayé par l'écrivain, polémiste, et pseudo-journaliste Mordecai Richler, ainsi qu'une autre enseignante de la Royal Institution for the Advancement of Learning, Ruth Wisse; celle-ci voulut même voir dans l'ambiance festive du centre Paul-Sauvé des relents de Sturmabteilung et du bruit nocturne de Kampfstiefel. Tous les prétextes sont bons pour stigmatiser une société qui tient, au minimum, à rester distincte.

(A titre comparatif, à partir de 1977, en Israël, les victorieuses soirées électorales du Likoud ne se sont pas toujours déroulées dans l'ambiance bon enfant des kibboutzniks dansant pacifiquement la hora autour d'un feu de camp.)

Pour sa part, Irwin Cotler tira une leçon de son impulsivité. On ne l'entendit plus diffamer ouvertement le mouvement indépendantiste québécois, se contentant, dans sa salle de classe (où il avait un public soit captif, soit gagné d'avance), de décocher des flèches empoisonnées, de manière à peine "codée", contre le Québec; son univers était essentiellement limité au seul arrêt Roncarelli c. Duplessis (en substance une simple glose de droit administratif confirmant le simple bon sens), dont il se masturbait inlassablement pour porter le message du monopole totalitaire québécois; il était moins disert sur, notamment, l'Alberta du crédit social, terre pourtant peu promise aux minorités ethno-culturelles. L'illustre défenseur de Mandela et de Sharanski avait appris à se maîtriser et éviter les formules risquées, mais sa physionomie et son intonation laissait suinter sa fétide aversion contre le Québec, attisée par la perspective du référendum de 1980.

Mordecai Richler, quant à lui, après avoir avoué une gaffe embarrassante (en effet, se fier à Irwin Cotler en ce qui concerne le Québec…), persista quand même par la suite dans sa propagande haineuse. Soyons quand même indulgent : il n'avait pas de poste universitaire permanent et dépendait du chèque de paye de Conrad Black, notamment pour assumer les frais de scolarité de ses 5 enfants à l'école privée. Il se faisait aussi payer par l'université d'Ottawa pour donner un cours de "creative writing" dont il déclarait pourtant, sans vergogne, l'inutilité à ses étudiants. (Excès de modestie : vu ses très… créatives chroniques "journalistiques", les étudiants pouvaient apprendre beaucoup de lui en matière de rédaction de contes de fées).

Alors, quid du professeur Attaran en 2021?

Selon la "jurisprudence Cotler-Wisse", le "Quebec bashing", extra-muros de l'université, est parfaitement compatible avec une belle carrière universitaire et ouvre même éventuellement les portes à de hautes fonctions politiques fédérales. Incidemment, Cotler, lui, n'avait pas sa place à la faculté de droit, mais pour une autre raison, plus simple : il n'avait pas mérité la qualité de pédagogue; sinon, sa seule répugnance envers le Québec n'eût été que péché véniel. Il faut lui reconnaître une belle prestance, avec ses entrées fracassantes dans la salle de classe, son heure de (dis)cours était un éblouissant feu d'artifice, mieux, un étourdissant ouragan qui déplaçait beaucoup de vent. Mais rien que du vent.

Dans la mesure où l'enseignement du professeur Attaran, dans sa salle de classe, est réel, scientifique, et où il n'est pas contaminé par ses élucubrations publiques, rien ne justifie son renvoi de l'université d'Ottawa et le recteur Frémont a adéquatement défendu sa liberté de parole. Il n'y a que les esprits peu rationnels pour ne pas comprendre que cet illustre inconnu utilise la provocation pour se faire sa publicité, tel Eric Zemmour en France. Et avec succès! Le mépris est une arme plus efficace que l'indignation tapageuse.

Par contre, la démission de Jacques Frémont serait de mise, mais, là encore, pour une autre raison : la persécution infligée à la professeure Verushka Lieutenant-Duval, qui avait utilisé de manière judicieuse, à titre scientifique, le mot en "n", à savoir "nègre", comme dans cet ouvrage de Jean Laude, critique et historien de l'art, La peinture française et « l’art nègre » (1905-1914). Contribution à l’étude des sources du fauvisme et du cubisme, 1968/2006, Paris, Klincksieck. Voici une très sommaire bibliographie : Jacques Chevrier, Littérature Nègre, Armand Colin (1999); Jean-Claude Blachère, Le Modèle Nègre, Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, Dakar (1981). Il est impossible de rendre hommage à Josephine Baker sans signaler qu'elle fut la vedette de la Revue nègre? Enfin, comment étudier et discuter le concept plus général de "négritude" sans le prononcer?

Un recteur digne de ce nom, doté - notamment - d'une colonne vertébrale ferme, ne se laisse pas intimider par les jacqueries et méprise les cul-terreux qui brandissent leurs fourches.

LP

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