Le 26 septembre 2017.
Judas
Iscariot, alla vers les principaux sacrificateurs, et dit : Que
voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Et ils lui payèrent trente pièces d’argent.
- Matthieu
26; 14-15.
Whoso, clinging to a rope, severeth it above
his hands, must fall; it being no defense to claim that the rest of the rope is
sound.
- Mark Twain.
Lors de son apparition à l'émission "On
n'est pas couché" le 2 septembre dernier, ce noble défenseur des droits de
l'homme a pu faire la promotion de son dernier livre, "La parole et
l'action".
On se rappellera que, lors du
"procès" qui aboutit à la condamnation du jardinier marocain Omar
Raddad pour meurtre de sa patronne Ghislaine Marchal, il représentait la partie
civile, la famille.
Un procès, c'est 10% de droit, 90% de
psychologie. Voilà pourquoi un accusé de viol préfère, toutes choses étant
égales par ailleurs, se faire défendre par une avocate. De même, il était fort habile de la part de la famille
Marchal de retenir les services d'un Henri Leclerc et le charger de contribuer
à piéger un bicot sans le sou, ce qui ne pouvait que profiter au vrai
meurtrier. C'était de bonne guerre.
Cela dit, Me Leclerc a eu l'outrecuidance de
dire sur un plateau de télévision qu'il demeurait "convaincu" de la
culpabilité d'Omar Raddad, qui aurait été condamné sur la base d'"éléments
de preuve".
(Pour mémoire, la France est le pays où
fleurissent les Fabrice Burgaud et où les juges d'instruction peuvent conclure,
sans rire, au suicide, dans le cas d'un cadavre ayant reçu 5 balles dans le
dos.)
Il est inutile de s'attarder sur l'intégralité
de l'"enquête" à charge et de la parodie de procès qui suivit, un
processus constituant une anthologie de tous les modes (in)imaginables
d'atteinte aux droits de la défense, dont l'atmosphère était digne de
"L'aveu" de Costa-Gavras), amplement exposés ailleurs. L'affaire Omar
Raddad : la compil' et les professeurs de droit pénal comparé des facultés
anglo-saxonnes sont instamment invités à y attirer l'attention de leurs
étudiants sous le titre évocateur de French Chamber of horrors.
On se contentera ici de rappeler deux éléments
centraux qui eussent dû clore définitivement la procédure pénale (dans un état
de droit, s'entend) :
- l'incinération du corps de la victime,
ordonnée par la juge d'instruction, qui n'avait pas encore reçu le rapport
d'autopsie le 1er juillet, effectuée le 3 juillet, soit 5 jours après
l'autopsie (sans objection - surprise - de la part de la famille Marchal!),
privant la défense de son droit à une contre-expertise (mais… qui ose parler
des "lenteurs de la justice"?);
- la providentielle modification de la date du
décès dans le rapport d'autopsie : la correction d'une toute simple faute de
frappe censée avoir été commise par une secrétaire, non communiquée à la
défense en temps utile (c'est un euphémisme) et laquelle, comme par hasard,
allait dans le sens du ministère public.
(Ah, ces fichues secrétaires… On sait, en
effet, de quelles maladresses elles sont capables depuis que, en 1974, Rose
Mary Woods a juré avoir effacé par inadvertance 18,5 minutes d'une cruciale
bande magnétique du président Nixon lors du scandale du Watergate…).
Laurent Ruquier a cité la phrase clef des
mémoires de Me Leclerc : "ce n'est pas parce que Omar Raddad est magrébin
qu'il est coupable, mais ce n'est pas non plus pour cela qu'il est
innocent". Littéralement, cette idée est indiscutable.
Cependant, on est troublé de voir repris,
textuellement, par un chantre des droits de l'homme, un sophisme classique fort
apprécié aux Etats-Unis des policiers chasseurs de nègres et des District Attorneys racistes qui
s'acharnent sciemment sur des innocents de toutes les couleurs "pour faire
du chiffre". Le conseil de la famille Marchal doit être à la dernière
extrémité pour invoquer un argument aussi grossier et il faut y lire la
reconnaissance -maladroite, mais réelle- de l'innocence d'Omar Raddad.
Voilà ce qu'on appelle tomber dans son propre
piège.
D'autant plus que Me Leclerc n'a pas saisi
toutes les conséquences logiques défavorables à sa propre cause de son infecte
manœuvre, puisqu'il se prend pour Eric Zemmour : il faut obligatoirement en déduire que ce n'est pas parce qu'on est
gendarme que l'on n'est pas faussaire, et ce n'est pas parce qu'on est
président d'une cour d'assises parlant arabe que l'on n'est pas une vermine
raciste.
En ce qui concerne les derniers instants de
Ghislaine Marchal, il faut rendre hommage au romancier Henri Leclerc,
qui a créé une belle tension dramatique. Sur le fond, on préfère quand même le
regretté Gérard de Villiers qui, lui, au moins, s'appuyait sur des faits réels.
Les amateurs d'histoire comparée du droit
pénal noteront les étranges ressemblances entre la ratonnade judiciaire
perpétrée contre Omar Raddad et le lynchage (au sens littéral) dont fut victime
Leo Frank aux Etats-Unis en 1915. Mais foin des sensibleries : ce n'est pas
parce qu'on est juif qu'on n'est pas un violeur et assassin d'enfant.
https://en.wikipedia.org/wiki/Leo_Frank
A chacun donc d'apprécier à sa juste valeur la
sincérité des "convictions" benoîtement proclamées par Me Leclerc.
S'il demeure entièrement libre de plaider tout ce qu'il veut dans les prétoires
afin de mériter ses honoraires, ses sinistres fables laissent un arrière-goût
plus amer au téléspectateur.
Il invoque d'ailleurs, métaphoriquement,
l'"ange" qui guide ses plaidoiries; on le croit volontiers vu ses
airs patelins de chanoine bien nourri. En l'espèce, l'ange déchu, Belzébuth, a
été à la hauteur, car il l'a amené à bel et bien trahir ses idéaux : Me Leclerc
feint de ne pas comprendre la différence entre, d'une part, défendre
tout accusé, qui jouit de la présomption d'innocence (comme l'enseignent
pieusement les traités de procédure pénale français, n'est-ce pas…) et, d'autre
part, passer de l'autre côté de la barrière en aidant le ministère public à
exécuter un innocent, comme par hasard magrébin, afin de protéger un vrai
coupable.
Une belle fin de carrière pour l'apôtre des
droits de l'homme de 83 ans.
LP
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