"Heureux qui, comme Ulysse, a fait un
beau voyage".
- Joachim du Bellay
"Le
savoir acquis dans un pays étranger peut être une patrie et l’ignorance peut
être un exil vécu dans son propre pays".
-
Averroes
D'aucuns reprochent aujourd'hui à Philippe Couillard de
l'Espinay d'avoir été titulaire d'un compte en banque dans sa baronnie de
Jersey à l'époque où il résidait en Arabie Saoudite (de 1992 à 1996). Il lui
est reproché d'avoir alors échappé aux ponctions fiscales canadiennes pendant
cette période par le recours à un paradis fiscal.
Grief hasardeux.
A titre d'expat', il avait alors rompu tous ses liens avec
le Canada, et ne lui devait rien sur le plan fiscal, ou autrement. Il était donc
libre d'ouvrir un compte, en toute légalité, à Jersey, aux Iles Cayman, en
France, au Danemark, en Australie…
Cela dit, on peut éventuellement s'interroger sur les
motifs qui ont poussé le baron à choisir, parmi la myriade d'établissements
bancaires à travers le monde offrant des services financiers de qualité
équivalente, une banque qui se trouve à assurer, en outre, un secret
bancaire étanche ? (Il ne faut pas confondre la notion de "paradis
fiscal" avec celle de territoire garantissant le "secret
bancaire", qui est distincte, même s'il est exact que Jersey, notamment, cumule
ces deux avantages).
Il faut comprendre que, après son arrivée en Arabie
Saoudite, ce jeune et nouvel embauché devait se sentir un peu perdu. Dans un
environnement exotique, où les femmes sont voilées, ne conduisent pas, on
n'arrive plus à réfléchir vu le choc culturel et la chaleur du désert (que l'on
se rassure: il s'adaptera rapidement…).
Et, manifestement, le baron a complètement oublié de
prendre les dispositions financières appropriées avant de partir à l'aventure!
(insouciante et impétueuse jeunesse, quand l'esprit de Lawrence d'Arabie te tient…).
Eh oui, il faut bien qu'il encaisse ses chèques de paye! On a beau être
neurochirurgien, qu'est-ce qu'on peut être tête de linotte! (Les cordonniers
sont les plus mal chaussés).
Saperlipopette, que faire? Le temps presse… Quoi de plus
naturel que de se tourner vers les nouveaux collègues? Qui s'empressent de lui recommander
tout bonnement une banque canadienne à Jersey, qui est manifestement tellement
plus commode qu'une banque canadienne en Arabie Saoudite même, ou en France ou
en Angleterre, même s'il faut prendre un hydroglisseur à Carteret (Normandie),
pour se rendre à Saint-Hélier. Pourquoi se compliquer la vie avec Londres ou
Paris? Et, de toute manière, un neurochirurgien n'a jamais entendu des expressions
aussi mystiques que "paradis fiscal", "secret bancaire"… A chacun
son métier. La seule chose qui urge est simplement d'ordre pratique:
l'encaissement du chèque de paye. Bref, dans ce genre de situation, on n'a pas
d'autre choix que de faire confiance aux nouveaux copains.
Alors, oui, bon, après tout, pourquoi pas? Allez! Zou! Va
pour Jersey. Bof, là ou ailleurs…
Et le baron rentre au Canada en 1996. Il déclare aux
autorités du pays retrouvé avoir la modique somme 600.000$ sur ce compte (après
avoir travaillé 4 ans en Arabie Saoudite…) et il paie, comme il se doit,
l'impôt sur les intérêts produits par cette somme. Ah, au fait, comment
savons-nous que cette somme était exacte? Mais c'est simple: le baron l'a
déclarée au fisc canadien. Peut-on être plus clair?
Et d'aucuns relèvent qu'il conservé ce compte jusqu'en
2000? Pourquoi?
Là encore, la réponse du baron est tellement prévisible
qu'elle en est banale:
« Une fois qu’on paie des impôts et des taxes, ça n’a
aucune importance, l’endroit où le compte se trouve. Ma famille et moi, on
trouvait avantageux à l’époque que ce soit loin, pour ne pas piger dedans à
toutes les semaines pour l’épicerie. »
Voilà. Un modeste neurochirurgien ayant œuvré 4 ans en Arabie Saoudite,
humble conseiller d'un prince saoudien, doit éviter les tentations, et
maîtriser ses dépenses d'épicerie! Faire bouillir la marmite,
oui, mais avec prudence et parcimonie. Il suffit d'avoir un compte à Jersey! La
solution crève les yeux, mais il fallait y penser. Où ont donc la
tête nos conseillers en budget familial?
Mais… n'oublions pas la raison fondamentale du choix
bancaire du baron, sa modestie naturelle dût-elle en souffrir.
Philippe Couillard de l'Espinay est aussi un fin lettré, comme
il sied à un ancien élève du collège Stanislas d'Outremont. Il aime à citer les
philosophes antiques (qu'il a probablement lus dans le texte sous la direction
de M. Parc) et nul doute que "Les misérables" est son livre de chevet.
Il s'ensuit logiquement qu'il faisait des pèlerinages
réguliers au musée Victor Hugo dans l'île voisine de Guernesey. Choisir la Royal Bank of Canada (Jersey) Limited (maintenant
RBC Wealth Management) afin d'opérer
ses retraits au guichet, c'était faire d'une pierre deux coups. Ses collègues
n'ont fait que confirmer une formule vraisemblablement déjà arrêtée, ne fût-ce
que de manière latente, dans ses propres neurones.
Oui, le baron de Jersey a raison de rappeler aux
électeurs moins érudits, en s'appuyant sur Héraclite, que "tout est
flux". C'est le mot juste. Qui vaut son pesant d'or noir en matière de système
bancaire international contemporain.
Il était écrit que les sceptiques seraient confondus…
LP
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