Le 23 décembre 2024.
I could
stand in the middle of 5th Avenue and shoot somebody and I wouldn’t lose voters.
- Donald J. Trump.
L’on dit toujours que le président américain en fin de
mandat est un « canard boiteux » (« lame duck » en v.o.).
Pourtant le locataire actuel de la maison blanche utilise de main ferme son
droit de grâce régalien. Après avoir épargné des condamnations à son fiston
chéri toxico relativement à des atteintes à la législation encadrant les armes
à feu et évadé fiscal (si le code des impôts prévoyait des abattements pour les
« frais de bouche », cette notion n’englobait pas les émoluments
versés aux effeuilleuses), Joe Biden vient de prononcer une dispense collective
des rigueurs de la loi au profit d’environ 1500 personnes selon un critère fort
judicieux de prime abord : les crimes en cause ne doivent pas avoir
comporté des éléments de violence.
On a évidemment alors droit à une « deuxième
chance ».
Cependant, voyons de plus près deux bénéficiaires de la
mansuétude présidentielle.
Citons d’abord Rita Crundwell, qui, 2012, avait plaidé
coupable de détournement de fonds de 54 millions $ au détriment de la commune
de Dixon (Illinois) comptant 15 000 habitants. On est un cran au-dessus
des petits dîleurs de poudre blanche et gélules multicolores. Il lui sera
épargné (si l’on ose dire) encore 4 ans d’assignation à domicile.
Est encore nettement plus intéressant le cas de l’ancien
juge pennsylvanien Michael Conahane, condamné en 2011 lors du scandale
« gamins vendus au comptant » (« kids-for-cash » en v.o.).
Sa libération était prévue pour 2026. Cet oracle de la loi encaissait des
pots-de-vin de la part de sociétés commerciales opérant des centres de
détention pour mineurs (la libre entreprise à l’américaine est un modèle) en
leur assurant un approvisionnement en chair fraîche par de lourdes sanctions;
Environ 4000 condamnations furent annulées, et elles coûtèrent au contribuable
2000 millions de dollars en indemnisation des victimes, ce qui ne profita pas à
au moins l’une d’elle, qui se suicida car détruit par son séjour derrière les
barreaux. On s’interroge en l’espèce sur la notion de « violence » ou
plutôt de son absence. Chose certaine, il a droit aux félicitations du très
français magistrat Fabrice Burgaud, qui s’y connaît en matière de décès de
persécutés, et surtout de deuxième chance : tel un majestueux phénix, il
renaquit des cendres cadavériques d’Outreau.
Par ailleurs, une femme ayant purgé 16 ans de prison au
Nevada obtient une indemnisation de 34 millions de dollars car sa condamnation
avait résulté de falsification de preuves de la part des enquêteurs. Là encore,
comme dirait Fabrice Burgaud, une situation inconcevable en France. (On parle
de l’indemnisation, bien entendu).
Que dire de l’affaire Ellen Greenberg, morte le 26 janvier
2011 à Philadelphie (Pennsylvanie)? Le rapport d’autopsie dressé le lendemain
même faisait mention de 20 coups de couteau, dont un à la base de la nuque, et
11 hématomes. Conclusion : les coups avaient été assenés par une autre
personne. Mais pas si vite.
Après discussion avec les enquêteurs, le médecin légiste
décréta qu’il y avait eu suicide. Il faut déduire de ce revirement que le dr
Paul pennsylvanien s’est instruit au contact de confrères français; on apprend
beaucoup dans les congrès internationaux. La France est le pays où les suicidés
ont besoin de 5 coups de feu pour parvenir à leurs fins. Quel inexplicable
acharnement de la part de la famille Greenberg, suivant sans doute le pitoyable
exemple de la famille de Robert Boulin, ministre giscardien suicidé le 30
octobre 1979 trouvé dans un étang de la forêt de Rambouillet.
Mais la vedette américaine individuelle est sans aucun doute
Luigi Mangione.
Ce fils de bonne famille est suspecté de l’assassinat bien
planifié, de sang froid, du PDG de United Healthcare, un géant de
l’assurances-santé, Brian Thompson. Les réactions… de soutien ne se sont pas
fait attendre. Les réseaux sociaux vomissent leur approbation et les fans ont
adopté le capuchon et le masque médical de l’auteur présumé, qui fera un tabac
lors de la prochaine Halloween. Pis, l’employée du McDonald’s qui a reconnu
l’individu et alerté les autorités policières est menacée de mort.
Rien ne justifie la violence, pas même l’injustice perpétrée
par les compagnies privées d’assurances-santé, qui laisse trop de citoyens
exposés à la ruine économique… ou la mort. Bien sûr, Thompson était un
gestionnaire émérite : les profits réalisés par l'entreprise sont passés de
12 milliards de dollars en 2021 à 16 milliards en 2023, et sa rémunération pour
2023 s’élevait à quelque 10 millions de dollars. La non-couverture de tragédies
médicales, c’est-à-dire, l’obstruction, même létale, paie. Plus que le crime. Deny,
defend, depose… Cela dit, ces événements sont révélateurs du délabrement du
système de santé américain. On récolte ce que l’on a semé.
A ce stade, impossible de revenir en arrière. Thompson est
mort. Que conseiller aux admirateurs de Luigi Mangione?
Eviter les menaces et se contenter de respecter la lettre de
la loi, sinon le bon goût : la liesse découlant d’un meurtre n’est pas
réprimée par le code pénal.
Surtout, suivre, précisément, l’exemple des habiles
procéduriers assureurs - et autres grandes entreprises commerciales – que
dénonce Mangione : deny, defend, depose (correction : delay)
en contribuant à la cagnotte servant à financer les frais de justice du tueur
présumé, qui a droit à la présomption d’innocence.
Ce sera de bonne guerre.
(Encore que l’argent n’est censé jouer aucun rôle dans le
fonctionnement de la justice américaine : au final, seuls les faits
comptent).
Et le plus féroce châtiment à infliger à McDonald’s
consisterait en un pacifique boycott de leur nourriture frelatée (ses hash
brown sont restés sur l’estomac de M. Mangione) fondé sur la dénonciation
d’une société commerciale tueuse en série sur le plan de la santé publique,
dont le Big Mac est l’arme fatale, qui produit de coûteux morts-vivants.
Rappelons ces paroles pleines de sagesse d’un ancien premier ministre
québécois, Maurice Duplessis, fermement opposé à l’assurance-santé étatique vu
qu’il n’était pas au courant des audacieuses innovations sociales de Bismarck :
« La meilleure assurance-santé, c’est la santé ».
LP