Le 14 janvier 2023.
La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert.
- André
Malraux.
La culture, c'est ce qui relie les savoirs et les
féconde.
- Edgar
Morin, sociologue
Je ne connais de sérieux
ici-bas que la culture de la vigne.
- Voltaire.
Un penseur n’accède pas toujours à la consécration
de son vivant.
Le chanoinesque Charles Taylor, dans la fleur de l’âge, peut prétendre à cette haute distinction, comme par exemple le nazi Heidegger et la gloire en rejaillit sur l’université McGill toute entière
Il suffit parfois
de peu de choses, en l’occurrence de son magistral article de 1989 intitulé “The Rushdie
Controversy” où il explique onctueusement que la notion de liberté d’expression
ne vaut pas partout. Pire, il s’agirait d’une notion occidentale aux relents
colonialistes. Il donnait ainsi sa bénédiction aux théocraties auxquelles il
reconnaissait le droit de réprimer les blasphémateurs. Salman Rushdie n’avait
finalement eu que ce qu’il méritait. En ce début de l’an de grâce 2023, peu
après l’habituel “paix aux hommes de bonne volonté”, l’actualité
moyen-orientale lui donne plus que jamais raison.
Signalons tout d’abord les deux contributeurs saoudiens à Wikipedia
qui ont été condamnés à de longues peines de prison : huit ans et trente-deux ans de prison. Le millionnaire Templetonien Taylor y verra sans
doute un excès de laxisme : ni décapitation, ni crucifixion.
En Iran, par contre, fini de rigoler : le nombre de personnes condamnées à la peine capitale
en lien avec les protestations déclenchées par la mort de Mahsa Aminie
s’élève à dix-sept.
On compte déjà quatre
exécutions (justice delayed is justice denied) et
deux trouble-fêtes ont vu leur peine confirmée par la Cour
suprême iranienne.
Bref, dans tous les cas, “dura lex, sed lex”, comme on dit en
latin d’Église, celle de Taylor.
(On s’étonnera au passage de l’étrange décision du réseau CNN d’avoir
embauché Nadia Bashir, qui se présente à l’écran sans vergogne avec le voile
porteur d’un (sinistre) message religieux, lequel semble peu compatible avec
l’impartialité journalistique; semble encore plus discutable son affectation à
l’agitation actuelle en Iran. A la rigueur, la direction de CNN aurait été plus
sage de la confiner, à tout le moins, aux reportages sportifs : les analyses de
Mme Bashir de tournois de golf eussent
été moins susceptibles de controverses.)
Pour Charles Taylor, les événements au Moyen-Orient (ainsi que
l’agression subie par Salman Rushdie le 12 août dernier) ne constituent que
l’aboutissement logique de sa thèse portant que la liberté d’expression ne
constitue pas une valeur humaine universelle. (Incidemment, on invitera cet
universitaire à lire attentivement au minimum l’intitulé de la Déclaration universelle des
droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations
unies le 10 décembre 1948, dont les mots-clés sont soulignés). Son article,
prophétique, appelle par les temps qui courent une relecture et une
méditation.
We tend to think that freedom of speech
is indivisible , that either it applies to everything or it doesn't exist at
all. But this is not necessarily so.
En effet, elle est, hélas, divisible. et fort divisée : les Etats
à travers le monde la respectent à des degrés divers : mieux dans les
démocraties occidentales, pas du tout dans les régimes autoritaires. Les
Etats-Unis constituent le modèle le plus conforme à la dignité humaine en
la matière : le premier amendement de la constitution garantit purement et
simplement la liberté d’expression et la seule nuance reconnue par la
jurisprudence de la Cour suprême américaine est qu’une atteinte à ce droit
n’est licite que si l’on établit “a clear and present danger”; bien sûr, la
victime de diffamation dispose d’un recours a posteriori, mais pas
les adorateurs de personnages plus ou moins légendaires, voire fictifs, comme
Jésus ou Mohammed. Par contre, la loi française est intermédiaire : quoique
largement supérieure à celle du Pakistan, elle demeure très imparfaite, comme
peuvent en témoigner le (pseudo-)humoriste Dieudonné et le guignolesque Aryen
Eric Zemmour. (Ce dernier vient tout juste d’être condamné pour avoir qualifié en 2018 le prénom
de l’ancienne chroniqueuse du groupe Canal+ Hapsatou Sy d’« insulte à
la France »)..
You have to judge what kind of sentiment
is offended; and also what is involved in suppression....
Affirmation réfutée par le système américain, lequel n’opère
nullement ce genre distinction. Ne sont épargnés ni les sensibilités
politiques, ni religieuses.
But why give such a special status to
religion? [AH! POURQUOI EN EFFET?] Because in societies where most
people believe even where their faiths differ, it seems obvious that
religion makes a uniquely powerful demand on its adherents, that
it touches matters of transcendent importance.
Comment Taylor sait-il si, dans une théocratie, les croyants
constituent vraiment la majorité de la population? Lorsqu’on vit dans un état
dictatorial, les sceptiques infidèles doivent se dissimuler, sauf rébellion
contre le dogme, comme, précisément, en Iran en ce moment, mais l'on constate
déjà que les fortes têtes s'y exposent à un extrême préjudice. Quant à la
transcendance, c’est-à-dire l’adhésion à des contes de fées, elle ne constitue
pas une justification aux persécutions ici-bas, d’autant plus que les fidèles
offusqués disposent du recours le plus efficace : le tribunal divin. S’attaquer
sur terre aux blasphémateurs reflète même un doute impie quant à la réalité du
châtiment divin dans l’au-delà : le vrai croyant doit pouvoir se contenter de
l’éternité.
One can perhaps argue that there
are deep strands within Christendom, which weaken the reaction against
blasphemy, in comparison to Islam, for instance... So post-Christian,
semi-unbelieving society will be less willing to repress blasphemy than
other great religious civilizations, most notably Islam.
Le professeur Taylor semble soutenir, sans rire, que le
christianisme est, par essence, plus tolérant en matière de blasphème
(peut-être parce que le Christ nous enseigne de tendre la joue gauche?...).
C’est ignorer les bûchers de l’Inquisition, finalement supprimés par le pouvoir
séculier, encore que tous les tisons ne soient pas complètement éteints : en
sont quelques exemples l’interdiction du film “Suzanne
Simonin, la Religieuse de Diderot” de Jacques
Rivette, en France en 1966 et “La dernière tentation du Christ”
de Martin Scorcese, accueilli en 1988 par d’agressifs hurlements d’indignation
des ayatollahs chrétiens et des actes de violence.
[H]ere are differences between cultures
in regard to how they see the ridiculing of religious belief... There
isn't a universal definition of freedom of expression, because there isn't
a single world culture.
Cela est indéniable car toutes les cultures n’ont pas atteint le même
niveau de civilisation que l’occident, qui a bénéficié des Lumières, il y a
moins de trois siècles : l’esclavage fait toujours partie intégrante de la
culture mauritanienne, le statut de la femme afghane est dicté par la culture talibane, et il y
a encore des cultures prisonnières des ténèbres qui flagellent, pendent,
crucifient et décapitent les humanistes disciples de David Hume et de Denis
Diderot pour... “inimitié envers Dieu et
corruption sur terre” (sic). Des cultures bien définies par la notion
coranique de nubilité, parfaitement résumée par un vieux diction ayant cours
chez les rednecks issus de familles tissées serré South of the
Mason-Dixon line :
If she’s old enough to bleed, she’s old enough to breed.
LP
PS. En ce qui concerne la riche actualité religieuse, on annonce le décès du cardinal australien George Pell, ex-grand argentier du Vatican. Cet amateur de chair fraiche échappa finalement aux geôles grâce à un vice de forme acheté au prix fort. Son âme est donc en route pour rejoindre les Ratzinger et cie dans l’antre de Belzébuth. He is definitely going “down under”.
Commentaire fort intéressant.
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