Saturday, February 16, 2019

Le Conseil constitutionnel français accueille une autorité péripatéticienne.



Le 16 février 2019.

Something is rotten in the state of Denmark.
- Shakespeare (Hamlet).

Alain Juppé, agrégé de lettres classiques, éminent helléniste, et donc fin connaisseur des "Lois" et de "La république" de Platon, et ayant pour guide "L'Éthique à Nicomaque" d'Aristote, met fin à sa carrière politique en acceptant sa nomination (surprise, bien sûr) au Conseil constitutionnel.

Il a fait d'émouvants adieux à sa chère ville de Bordeaux. Son panache, sa prestance et son élégante diction faisaient de lui un maire taillé sur mesure pour diriger la métropole qui fut un des sommets du commerce triangulaire de jadis.

On ne pouvait en effet trouver une voix plus éloquente pour dénoncer, au moment du départ, les amalgames, notamment "le discrédit des hommes et des femmes politiques réputés tous pourris" (sic).

On se rappellera qu'en 1990, l'adjoint au maire de Paris qu'il fut, chargé des Finances, est devenu locataire d'un appartement de 189 m2 appartenant à sa propre municipalité à des conditions financières des plus favorables, où furent effectués des travaux d'un montant supérieur à plus d'un million de francs. D'abord resté « droit dans ses bottes », après trois mois de polémique, il décide, magnanimement, de quitter son logis afin de couper court aux malveillants soupçons de conflit d'intérêt.

Par la suite en 1993, le même adjoint ordonna aux services du logement de la ville de Paris de diminuer le loyer de son fils, et d'y effectuer des travaux d'un montant de 381 000 francs. À plusieurs reprises, le ministère de la Justice tenta d'empêcher le Service central de prévention de la corruption de rendre son rapport sur cette ristourne de loyer, mais la justice - en toute indépendance, bien entendu - décida de ne pas poursuivre celui qui était devenu Premier ministre.

Cependant, en 2004, il est condamné par la cour d'appel de Versailles à 14 mois de prison avec sursis et à un an d'inéligibilité dans le cadre de l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, un stratagème de financement occulte du parti gaulliste consistant en l'emploi par la mairie de personnes en fait au service de leur parti. Une condamnation qui, heureusement, ne fera pas obstacle au séjour dans sa cabane au Canada (aux dorures plus discrètes que celle de Paris) du professeur Juppé, recruté par l'École nationale d'administration publique (ENAP) qui avait compris la supériorité pédagogique qu'offrait à ses élèves, futurs fonctionnaires, un praticien n'ayant jamais hésité à mettre les mains dans le cambouis et qui a les deux pieds dans la glaise. (Ultérieurement, le pseudo-humoriste Dieudonné n'eut pas droit à la même mansuétude de la part de la police des frontières canadienne).

Au tour du Conseil de bénéficier d'une expertise unique en matière de droit public. Nul doute que le nouveau conseiller sera tout désigné pour rédiger les ébauches des décisions en matière de dépenses électorales, lesquelles seront quasi-automatiquement ratifiées par ses collègues.

Qui a dit que la France est prisonnière des traditions? Un repris de justice, un criminel, devient un "sage" : c'est une première pour la république française. Voilà un attendrissant exemple de rédemption sociale d'un Jean Valjean des temps modernes, qui ne rechignera pas à payer sa taxe carbone. Un exemple qui pourrait inspirer, par exemple, le président Trump, qui s'est révélé plus timoré jusqu'à présent dans ses nominations judiciaires.

Les justiciables et contribuables français peuvent être certains que le poste tout juste comblé n'aura, lui, rien de fictif.

LP

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