Le 11 février 2024.
Les règles sont comme les femmes, elles
sont faites pour être violées.
- Le juge québécois Denys Dionne (1989).
En France, le président du sénat (LR)
s’oppose vigoureusement à l’inscription du droit à l’avortement (interruption volontaire
de grossesse, ou IVG) dans la constitution. Cette position, identique à celle
du RN, lui a valu les remontrances notamment de l’actrice Sophie Marceau : : “’vous faites honte à notre société française", et elle dénonce “un
patriarcat dans toute sa splendeur : suffisant, rétrograde
et hypocrite"”. On peut voir là une dose d’hyperbole, mais M. Larcher fit valoir ses arguments
en réponse lors de sa participation à l’émission “Quelle époque!” quelques jours
plus tard.
Voulant mettre les choses en
perspective, il a déclaré à titre liminaire avoir toujours été, personnellement, en
faveur du droit à l’IVG et adversaire de la peine de mort lorsqu’elle était en
vigueur. Fort bien, mais quid d’un droit constitutionnel”
Il invoque implicitement un sens des
priorités : “(Sophie Marceau) aurait mieux fait de me téléphoner, je lui aurais
expliqué (sic) qu’il fallait qu’on milite ensemble pour que les femmes soient
accueillies dans des conditions dignes... Qu’elle vienne avec moi voir dans quelles
conditions c’est parfois fait”. Que les installations
hospitalières appellent des améliorations pour les femmes en détresse, on peut penser que Sophie Marceau l’avait
compris d’elle-même avant d’entendre les bienveillantes et généreuses explications du sieur Larcher,
mais en quoi cela est-il incompatible avec une inscription dans la constitution?
Il paraît que la constitution ne
doit pas devenir un “catalogue de droits sociaux et sociétaux”; on se demande
alors à quoi sert une constitution? On notera aussi que c’était la première
fois que M. Larcher acceptait une invitation à un “talk-show”, le but étant de
recadrer publiquement l’insolente. On peut en déduire que la question de l’IVG
n’a, au final, rien de banal.
Plus fondamentalement, de toute manière, ce droit ne serait pas menacé en
France, “depuis, notamment une décision du Conseil constitutionnel en 2001, la
référence à la liberté – article 2 de la Déclaration des droits de l'homme –,
ce droit absolu a été reconnu aux femmes.”.
Alors que l’exemple (si on peut
dire) américain semble justifier des craintes pour la France, il balaie l’argument
du revers de la main et d’un coup de sabot en observant que les Etats-Unis sont
un état fédéral.
On peut penser que celui qui fut
vétérinaire dans une vie antérieure a eu droit à un solide cours de droit rural
dans sa formation. Cependant, la culture juridique du président du sénat, qui
se targue (sans rire) d’une position “constitutionaliste”, comporte de graves
lacunes en matière de droit comparé et de raisonnement judiciaire.
Manifestement, il ne connaît pas la
notion de revirement de jurisprudence.
La doctrine de l’arrêt Roe v.
Wade aux Etats-Unis (fondée essentiellement sur la même notion de liberté dégagée
des textes constitutionnels que devait retenir ultérieurement les sages français),
reconnaissait globalement, pour tout le pays, à chaque femme, le droit à l’avortement.
Il semblait gravé dans le marbre depuis 50 ans.
Mais désormais, avec l’arrêt Thomas E. Dobbs, State Health Officer of
the Mississippi Department of Health, et al. v. Jackson Women's Health
Organization, et al. , dont ont accouché au forceps les taupes vaticanesques ayant infiltré la haute juridiction américaine,
les 50 états sont libres d’adopter des lois interdisant, plus ou moins
totalement, l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste (la famille, c’est
sacré); cependant, c’est précisément la structure fédérale de ce pays qui limite
la casse : pour l’instant, seuls les états rednecks, surtout sudistes, légifèrent
allègrement en ce sens (la Louisiane coche d’ailleurs toutes les cases). Heureusement,
la civilisation l’emporte, pour l’instant, sur la barbarie dans un nombre
substantiels d’états.
Par contre, un tel revirement en
France, où l'autorité du précédent est nettement plus faible qu'aux États-Unis, laisserait le champ libre à un législateur unique pour tout le pays. Dans
des temps politiques troubles, même les institutions judiciaires françaises ont
parfois réagi docilement à de douteux courants sociaux, comme en témoigne la complaisante
jurisprudence du conseil d’état de 1940 à 1944, une époque où le “droit antisémite”
était une spécialité aussi honorable que “le droit civil” ou le “droit commercial”.
À souligner l’impressionnante contribution doctrinale du très catholique conseiller
Louis Canet.
Le fédéralisme américain milite donc,
a fortiori, en faveur de l’inscription explicite de l’IVG dans la
constitution, contrairement à ce que soutient M. Larcher. En outre, si l’archer
se déclare prêt à troquer ses flèches pour un fier destrier et se muer en chevalier
blanc criant "haro!" pour défendre le droit des femmes à l’avortement en cas de remise en
question, la constitutionnalisation explicite de ce droit lui épargnerait
une joute, voire une croisade évitable et inutile.
Celui qui fut naguère le vétérinaire
de l’équipe équestre olympique française saute allègrement les obstacles et choisit
mal son cheval de bataille. Il a une vision inadaptée des processus d’insémination.
En matière constitutionnelle, l’on peut tirer le plus solide argument de cette
sage observation de Talleyrand, qu’approuvait certainement feu Robert Badinter
:
“Si cela va sans le dire,
cela ira encore mieux en le disant”.
LP
PS. Il revient
maintenant à la cour suprême américaine de se prononcer sur un point de droit connexe
et d’une actualité brûlante : lorsqu’un chasseur d’alligators pentecôtiste louisianais
se marie avec une conjointe de 12 ans sur le point de mettre bas, juridiquement,
sont-ils toujours frère et soeur?
Mais on aimerait
avoir l’opinion de Gégé à cet épineux sujet.