Tuesday, August 16, 2022

La dernière tentation de Salman Rushdie : la liberté d’expression.

Le 16 août 2022.

Chacun son métier et les vaches seront bien gardées.
- Jean-Pierre Claris de Florian (Le Vacher et le Garde-chasse.)

Le 16 août 2022.

Le 12 août dernier, un ange de la mort a sauvagement agressé l’auteur des “Versets Sataniques” à coups de couteau alors que celui-ci devait précisément donner une conférence sur la liberté artistique à la Chautauqua Institution, dans l’Etat de New York .

Bien entendu, cette sauvagerie suscite l’indignation à travers le monde civilisé, lequel n’englobe manifestement pas l’Iran.

Pour autant, au Canada, le célèbre filozof catho, Charles Taylor, demeure muré dans un assourdissant silence. Ce chantre du multiculturalisme qui proclame sa grande “honte” sur le campus de l’université McGill suite aux mesures prises par le gouvernement québécois de nature à libérer les prisonnières de barreaux et de barrières textiles, demeure étonnament inaudible face à cette tentative d’assassinat. Il faut supposer que, pour le récipiendaire du prix Templeton, Rushdie est l’auteur de son propre malheur.

Mais cela ne saurait surprendre outre mesure. Il suffit de lire son immortel article “The Rushdie controversy” de 1989, que l’on pourrait qualifier de “spéculations démoniaques”. A noter notamment deux troublantes observations, dont il ressort que les filozofs qui veulent faire du droit sont parfois des apprentis-sorciers.

We tend to think that freedom of speech is indivisible, that either it applies to everything or it doesn't exist at all. But this is not necessarily so (sic!). We in Western societies lived for years with blasphemy laws, and yet we thought of our societies as free. And so they were.

Les sociétés occidentales étaient devenues libres dans la mesure où les ministères publics avaient finalement acquis le simple de bon sens de ne plus invoquer ces lois, même en l’absence d’abrogation formelle, selon le principe de l'opportunité des poursuites.

(Une sinistre mise en garde : Le 25 octobre 2018 (E.S. c. Autriche), la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’être condamné en Autriche, en vertu du droit national, pour avoir "taxé Mahomet de pédophilie" n’était pas contraire à la liberté d’expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme.)

Any regime of free expression has limits which are justified by the possibility of harm inflicted on others. That's why you can't cry 'Fire!' in a crowded cinema, and that's why there are libel laws.

En outre, crier “au feu” dans un cinéma n’a rien à voir avec la liberté d’expression (une ineptie reprise récemment par Justin Trudeau) et la notion de diffamation vise des personnes spécifiques, vivantes (en droit anglo-saxon) et identifiables. Deux exemples pris au hasard : tel professeur d’université est accusé d’avoir a vendu de bonnes notes à un(e) étudiant(e) en échange de faveurs sexuelles; idem de tel ecclésiastique qui aurait agressé sexuellement un(e) fidèle.

Il faut croire que le professeur Taylor tient pour acquis que le prophète n’est pas un personnage de fiction et qu’il est toujours en vie. On notera d’ailleurs que, lors de la sortie du film “La dernière tentation du Christ” à la même époque, certains ayatollahs chrétiens américains brandirent l’anathème de “character defamation”.

Sans approuver la fatwa prononcée par Khomeny, il prône jésuitiquement le relativisme en matière de liberté de parole, notamment en ce qui concerne le blasphème. En substance, il avalise la “la loi de la rue” ou “loi de la populace” (“mob rule”) : les menaces de violence justifient des restrictions de la liberté de parole dans les états où règne encore l’obscurantisme religieux. Volontairement ou involontairement, la fatwa de l’imam Khomeny, toujours en vigueur en 2022, qui relève du pouvoir séculier de l’Etat iranien, s’inscrit dans cette vision. Le concept de “heckler’s veto” en droit américain devient le licite “murderer’s veto” ou terrorisme d’Etat).

Petite contrariété, ou consolation, selon le cas, cette tragédie vient de stimuler les ventes des “Versets sataniques”.

Charles Taylor est la preuve vivante qu’il n’est nul besoin de passer par HEC-Montréal pour devenir millionnaire. Contribuera-t-il au fonds de défense de Hadi Matar?

Il faut lui opposer ce voltairien truisme : la liberté d’expression et artistique est un droit inaliénable pour tout être humain sur la planète, même si les pouvoirs publics d’Etats totalitaires n’ont pas la volonté de la faire respecter, ou vont jusqu’à la combattre. Aucun accommodement n’est raisonnable dans ce domaine.

(Mais une réglementation peut l’être. Un exemple, aussi pris au hasard : les fonctionnaires incarnant l’Etat peuvent se voir légitimement imposer un devoir de réserve pendant leurs 37.5 heures de service.)

L’agression perpétrée contre Salman Rushdie confirme que la parole de Dieu et ses jugements sont immuables et gravés dans le marbre.

Comme aussi certains articles “philosophiques”.

LP


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