Wednesday, May 26, 2021

La rocambolesque arrestation de Roman Protassevitch en Biélorussie.

Le 26 mai 2021.

Well, when the president does it, that means that it is not illegal.

- Richard Nixon.

Le blogueur et opposant Roman Protassevitch est tombé entre les mains du roi-philosophe présidant aux dertinées de la Biélorussie depuis 25 ans, suite à l'arraisonnement le 23 mai dernier de l'avion qui le conduisait d'Athènes à Vilnius (Lituanie).  

La communauté internationale pousse des hauts cris d'indignation et dénonce un acte de piraterie aérienne commis par un Etat. On tombe des nues… Bizarrement, nul ne semble savoir que cette violation flagrante du droit international par un Etat n'est pas une première. L'histoire passe parfois sous le radar.

Contrairement à la légende, l'ère de la piraterie aérienne n'a pas été ouverte par des terroristes exaltés et exotiques, individuels ou télécommandés (castristes, levantins…) mais directement par un Etat censé être de droit : la France.

En effet, pendant la guerre d'Algérie, le 22 octobre 1956, un avion de la compagnie Air Maroc-Air Atlas décolle de la capitale marocaine, Rabat, destination Tunis, avec, à son bord, cinq hauts dirigeants politiques du Front de libération nationale (FLN) algérien, dont Ahmed Ben Bella, futur premier président de l’Algérie. Alors que l’avion survole les eaux internationales, son équipage est sommé d’atterrir à Alger par les autorités françaises locales. Ben Bella et ses compagnons seront détenus six ans.

Un précédent qui devait faire école.

Le 10 août 1973, la chasse israélienne force un avion de la Middle East Airways, qui vient de décoller de Beyrouth, à atterrir Lod. Le ministre de la défense Moché Dayan, bien connu pour son sens de l'humour, déclara d'un œil malicieux que "l'opération entreprise conre la caravelle libanaise n'était pas un échec du point de vue militaire… puisque nous avons bel et bien intercepté l'avion que nous cherchions". A un petit détail près : les dirigeants du Front populaire pour la libération de la Palestine, notamment le docteur Georges Habache (qui n'était malheusement pas un disciple du docteur Schweitzer), que voulait capturer Israël, ne se trouvaient pas dans l'aéronef. En toute franchise, le général Dayan admit d'ailleurs que son pays avait agi en violation du droit international, avec la bénédiction expresse de la première ministre Golda Meir, dont le gouvernement invoqua spécifiquement l'affaire Ben Bella pour sa défense.

Cependant, on est plus perplexe de voir que furent tirés des arguments du détournement de l'avion de Moise Tchombé de l'Espagne vers l'Algérie de Boumedienne en 1967 (où il mourut après 2 ans de détention "provisoire", de causes purement naturelles, cela va de soi), ainsi que de l'atterrissage forcé d'un avion anglais dans la Libye de Khaddafi en 1971, qui permit l'arrestation de 2 officiers soudanais et leur livraison au gouvernement soudanais soutenu par la Libye et qu'ils avaient tenté de renverser. (Incidemment, il ne leur fut pas proposé de faire valoir leurs droits à une retraite anticipée).

A noter que, en 1956, le président du conseil français Guy Mollet, lui, avait été mis en face du fait accompli par des électrons libres de l'armée, qu'il n'a finalement pas osé défier en remettant les prisonniers en liberté comme la loi l'exigeait; mais le tortionnaire suprême socialiste de l'Algérie était peu connu pour la fermeté de sa colonne vertébrale, surtout depuis qu'il avait déjà capitulé à Alger le 6 février devant une meute de pieds-noirs enragés armés de tomates pourries.

Plus généralement, n'est plus à démontrer l'expertise française développée au fil des siècles en matière d'opérations transfrontalières (et même intrafrontalières) douteuses, dans la stratosphère et au ras des pâquerettes. Quelques exemples pris au hasard : le rapt en Allemagne et l'assassinat du duc d'Enghien par Napoléon en 1804, l'enlèvement par les barbouzes en Allemagne en 1963 du colonel Antoine Argoud (activiste "Algérie française" et dirigeant de l'OAS) , l'affaire Ben Barka en 1965, etc…

Les protestations internationales suscitées par les agissements du président biélorusse Alexandre Loukachenko sont pleinement justifiées. Cependant, quant au ministre de la défense français, Jean-Yves Le Drian, il est un peu piquant aujourd'hui de le voir jouer aujourd'hui les saintes nitouches au nom de la République contre un chef d'état qui a scrupuleusement suivi le plan de vol français.

Et qui n'a pas réinventé la roue du train d'atterrissage.

LP

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