Monday, March 5, 2018

"Diffusion d'images violentes" : l'inquiétante mise en examen de Marine Le Pen.



Le 5 mars 2018. 

Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de
ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de
répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par
quelque moyen d'expression que ce soit.
- Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme

Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours.
- Napoléon.

En France, en décembre 2015, en réponse à un journaliste qu'elle accusait d'avoir « fait un parallèle » entre l'État islamique et le Front national, Marine Le Pen affiche sur son compte Tweeter des photos d'exactions commises par Daech avec la mention "Daech c’est ça !" Le 1er mars 2018, elle est mise en examen pour "diffusion d'images violentes". (En janvier, le député Gilbert Collard avait été mis en examen pour le même motif.)
                               
Selon l'article 227-24 du Code pénal :

Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.



Il est de prime abord étonnant de voir brandie contre une personnalité politique, qui ne fait qu'approfondir le débat politique devant l'opinion publique, une infraction essentiellement conçue pour protéger les mineurs des affres de la pornographie et/ou de la violence. La présidente du Front National est donc victime d'une violation manifeste de l'esprit de ce texte, confirmé par les travaux préparatoires. Mais quid de la lettre?

On concèdera volontiers que, en 2015, les 3 photos affichées par madame Le Pen étaient "susceptibles d'être vu[es] ou perçu[es] par un mineur" dans la mesure où rien n'était plus inaccessible à qui ce soit vu la généralisation d'Internet! Cet élément de l'infraction, entrée en vigueur en 1992, au millénaire dernier, est aujourd'hui touchant de naïveté…

(On pourrait éventuellement opérer une distinction entre "affichage" et "diffusion", mais, par esprit de charité envers le magistrat instructeur, pour l'instant, on lui accordera magnanimement l'équivalence de ces deux notions).

Cela dit, l'on ne peut sérieusement voir dans l'affichage de ces 3 photos, surtout au regard du commentaire les assortissant, une "incitation" quelconque au terrorisme. Au contraire, le "message" qu'elles portent en est un de dissuasion, de dénonciation inéquivoque au minimum d'un certain terrorisme, d'actes qui eux, précisément, portent atteinte à la dignité humaine. Madame Le Pen n'incite ni les mineurs (ni les majeurs) "à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger". Enfin nul commerce n'est en cause en l'espèce.

Tout étudiant ayant suivi le cours de base en droit pénal sait qu'il est impératif que soient réunis tous les éléments de l'infraction. La simple "diffusion d'images violentes" (même si elle est de mauvais goût), n'est pas, en elle-même, susceptible de sanctions.

Nul ne fut étonné de la levée politicarde de l'immunité parlementaire de la députée Le Pen à ce sujet par ses ennemis au Palais Bourbon et au Parlement européen.

Mais on assiste - sans surprise - à une violation supplémentaire de la liberté d'expression et notamment, chose encore plus troublante, d'une entrave de l'exercice du droit de réponse, appuyé par des documents audio-visuels d'autant plus percutants qu'ils sont authentiques, et ce, par certains magistrats qui ne semblent pas s'encombrer outre mesure du sens objectif des textes légaux. Au pays de Fabrice Burgaud et de la répression du négationnisme, voilà qui n'est peut-être pas de nature à rassurer totalement les sceptiques quant à l'intégrité et l'indépendance de la justice française en général, et en particulier en ce qui concerne les autres enquêtes et procédures visant les élus du Front national, qui pourraient voir, en outre, dans cette mise en examen, le fruit amer d'une "poursuite (très) sélective" (le droit comparé enseigne notamment que la "selective prosecution" constitue une rupture du principe d'égalité devant la loi aux Etats-Unis).

Cependant, que l'on se rassure. La liberté d'expression n'a pas complètement disparu en France.

Le téléspectateur ne sera pas privé de documentaires historiques sur les atrocités nazies, notamment médicales (quel dommage que la couleur ait été si rare à l'époque); les chaînes de télévision demeurent libres de diffuser au journal télévisé les vidéos d'enfants syriens monstrueusement brûlés et empoisonnés avec du sarin ou du chlore et agonisant dans d'interminables convulsions (en couleurs!) et les éditeurs de publier les œuvres du marquis de Sade ou "La colonie pénitentiaire" de Kafka. (Le décès du regretté prince des lettres Gérard de Villiers a mis fin à ses quasi-reportages, mais ses quelque 200 titres demeurent des classiques en vente libre). Par ailleurs, les parents peuvent continuer, en toute quiétude, à faire la lecture le soir à leurs enfants confortablement bordés dans leur lit du "Petit poucet" et du "Petit chaperon rouge"; leurs chers bambins pourront même jouer à l'ogre et au grand méchant loup dès le lendemain.

Et les cinéphiles avertis attendent la prochaine projection de "Massacre à la tronçonneuse" ("The Texas Chainsaw Massacre" en v.o.) dans toutes les bonnes salles d'art et d'essai. (Le chef d'œuvre de 1974, bien entendu, aussi en couleurs, pas le remake de 2003.)

LP

PS. Et voici deux petites gâteries pour tous les esthètes, petits et grands!


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