Que peuvent les lois, là où seul l'argent
est roi.
A page of history is worth
a volume of logic.
- Oliver Wendell Holmes
La politique, c'est comme l'andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop.
- Edouard Herriot
Il y a quelques jours, le
premier ministre du Québec, Philippe Couillard de l'Espinay, baron de Jersey, a
proclamé: "A l'aube du 150e anniversaire du Canada, les
Québécois souhaitent que le pacte qui lui a donné
naissance soit réaffirmé".
D'aucuns ont conclu que M. Couillard se
préparait à signer, au nom du Québec, la constitution canadienne, en l'état, en
2017.
Mais que l'on se rassure.
Il a remis les pendules à l'heure.
Il n'y a que les journalistes, ces béotiens,
pour avoir sauté à une conclusion aussi fantaisiste. Il ne faut jamais tirer de
conclusions hâtives, même quand on voit un féal faire les yeux doux à son suzerain,
comme l'a fait, en l'occurrence M. Couillard au premier ministre canadien, à
l'occasion de la commémoration du 200e anniversaire de naissance de
George-Etienne Cartier, un ancien patriote de 1837 devenu père de la
confédération.
Ces cérémonies auront au minimum une fonction
didactique puisque, selon un sondage commandité par l'Association for Canadian
Studies, seuls 11% des répondants ont reconnu en lui un intervenant clé de
l'adhésion du Québec à la confédération (pis, un Québécois sur dix pense que Pierre-Elliott
Trudeau en fut un artisan…). Voilà qui nous rappelle le point commun entre les
fédéralistes et les souverainistes: une ignorance crasse des institutions et de
l'histoire du pays qu'ils vénèrent ou qu'ils rejettent. Le droit de vote des
Canadiens de naissance devrait être subordonné au passage d'un examen identique
à celui que doivent réussir les immigrants qui prétendent à la citoyenneté
canadienne. Mais ne rêvons pas…
M. Harper est fier d'être l'« héritier
politique » de Cartier, mais sans signaler un épisode peu reluisant : le
scandale du Pacifique…
En effet, ce grand patriote canadien n'a pas
hésité à encaisser des pots-de-vin en 1872 dans le cadre du grand projet
ferroviaire qui devait être une noble entreprise de construction du nouveau
pays! On peut donc légitimement se demander si ses décisions pro-confédératives
n'ont pas été emportées par de semblables marques de gratitude pécuniaires,
surtout si l'on se rappelle que, en 1870, les responsables politiques de
l'Ile-du-Prince-Edouard acceptèrent le statut de province canadienne au terme de
festins et beuveries, gracieuseté d'Ottawa, qui eussent
fait saliver Trimalchion; leur gueule de bois leur a fait oublier que
les intérêts économiques de ce territoire commandaient plutôt le maintien de l'autonomie
et de rapports commerciaux étroits avec les Etats-Unis. Le scandale des
"commandites" s'inscrit dans une vieille tradition canadienne : les activités
éminemment patriotiques donnent parfois aux malandrins des occasions en or de
se sucrer.
Il y a plus troublant. M. Couillard déclare
que « George-Étienne Cartier témoigne de l'existence chez nous d'un sentiment
national fort et du désir d'appartenance à un pays plus vaste..».
Un rappel des réalités historiques est de
mise.
Contrairement à ce qui s'est passé, par
exemple, aux Etats-Unis de 1776 à 1789, où des états indépendants ont librement
renoncé à leur souveraineté pour former un nouveau pays, le Québec n'avait,
avant 1867, aucune existence juridique : il faisait partie de la colonie,
britannique, du Canada-Uni et l'indépendance n'a jamais été une option. La
seule alternative à la confédération dont disposaient les responsables
politiques bas-canadiens de l'époque était le statu quo. Confederation: Take
it or leave it. Et d'ailleurs, la ratification fut déférée aux élus
bas-canadiens car une consultation populaire aurait probablement abouti au
rejet du "pacte"…
Dans la Gazette du 6 septembre 2014, Jack
Jedwab se gausse de la vision nationaliste qui a dépeint Cartier comme un
pantin des autorités coloniales en excipant de sa qualité d'ex-patriote de
1837. L'argument est un peu léger et inattendu de la part d'une telle sommité
universitaire, qui semble ignorer que l'histoire politique est pleine de
revirements de ce genre : Mussolini a commencé sa carrière politique comme
socialiste; en France, Marcel Déat,
un fondateur du Parti socialiste de France, devint l'un des derniers fidèles de
Pétain… Et est-il possible d'oublier Pierre Laval?...
M. Couillard devrait peut-être songer à évoquer,
d'ici 2017, la naissance juridique du Québec.
Quoique l'on pense de l'intégrité du processus
qui aboutit aux institutions de 1867, il ne donna pas lieu à une simple
"entrée" de la part du Québec : il y eut bel et bien
"sortie", quoique très partielle. Le Québec ne céda pas de
compétences à l'Etat central; au contraire, il en obtint.
Si notre mémoire est bonne, George-Etienne
Cartier a déclaré en 1867: "Maintenant nous avons un état, disposant de
certains pouvoirs". L'"appartenance à un pays plus vaste" était donc le prix à payer pour la création d'un embryon
d'état.
Faute de mieux?
Faut-il maintenant aspirer à un organisme plus
développé?
Aux électeurs québécois d'aujourd'hui d'en
débattre. Mais le débat ne doit pas
s'inscrire dans la fiction révisionniste.
LP