Friday, December 9, 2022

Abolition du serment au roi : le Québec consacre l’approche albertaine.

 Le 9 décembre 2022.

Ecoutez ceci, peuple insensé, et qui n'as point de coeur! Ils ont des yeux et ne voient point, Ils ont des oreilles et n'entendent point.
- Jérémie 5:21.

Il y a quelques jours, les élus du parti Québécois invitaient le gouvernement Legault à s’inspirer de la “Loi sur la souveraineté dans un Canada uni de l’Alberta” (sic), qui a été adoptée hier, et donne la possibilité à la province de suspendre l’application de lois fédérales.

C’est fait.

L’assemblée nationale du Québec a suivi le juridisme redneck aussi inflammable que le bitume en adoptant aujourd’hui la “Loi visant à reconnaître le serment prévu par la loi sur l’assemblée nationale comme seul serment obligatoire pour y siéger”, qui prétend rendre inapplicable au Québec l’article 128 de la loi constitutionnelle de 1867, norme fédérale pancanadienne supérieure qui impose à tous les législateurs, fédéraux et provinciaux, le prononcé d’une formule sacramentelle, mieux, incantatoire, dont chaque syllabe vaut son pesant de caramels mous.

Rien que ça.

Il faut rendre hommage à la ligue monarchiste du Canada d’avoir judicieusement rappelé au public québécois que tant les élus du parti Québécois que de nombreux médias font la grossière, irritante et impardonnable erreur d’évoquer le serment dû au “roi d’Angleterre”, alors que Charles est, en l’occurrence, le souverain du Canada. Est d’ailleurs encore plus troublante la reprise de cette ineptie par le ministre québécois des Institutions démocratiques, Jean-François Roberge lui-même, au salon bleu lors de l’adoption de la loi, qui illustre l’ignorance crasse de tous les élus québécois et des conseillers juridiques du gouvernement quant aux réalités constitutionnelles canadiennes fondamentales.

Par contre, est incontournable sa qualité (si l’on ose dire) de chef de l’Eglise anglicane, et le porte-parole de la ligue ne peut que susciter l’irritation quand il fait grief au chef du parti Québécois de “faire remuer les passions, faire ressurgir les vieux démons du passé et positionner le PQ et M. St-Pierre Plamondon comme victime, martyr de la cause nationaliste”. On répondra au bien nommé M. Karim Al-Dahdah que, sur le plan des symboles, précisément, une théocratie, même de pure forme, semble d’une discutable compatibilité avec l’incarnation “de l’État de droit, de la démocratie”.

Par cette mascarade législative, l’assemblée nationale du Québec lance donc un intéressant défi au gouvernement fédéral en adoptant une loi manifestement contraire à la Loi constitutionnelle de 1867. Quels sont les enjeux? Chose curieuse, même d’éminents constitutionnalistes déclarent ne voir aucune sanction de la violation de l’article 128, alors qu’elle est on ne peut plus claire : pas de serment, pas d’entrée en fonction. Une évidence que constate l’ex-sénateur Serge Joyal. Mais alors quid de la participation illégale de députés aux travaux de l’assemblée nationale?

Signalons que les 3 élus du PQ ont touché depuis le 3 octobre dernier leur rémunération et ont eu accès à leur bureau de circonscription et à l’hôtel du Parlement (sauf la salle de l’Assemblée nationale et les salles de commission parlementaire); selon la lettre de la loi pénale, il y a d’ores et déjà (au minimum) détournement de fonds publics puisque, sans prestation préalable du serment d’allégeance, ils n’ont pu “entrer dans l’exercice de leurs fonctions”.  L’adoption de la loi 4 ne blanchira pas (si l’on ose dire) les intéressés pour l’avenir.

(En pratique, des poursuites au pénal sont quelque peu douteuses : politique oblige.)

Par contre, est exposé l’ensemble des lois adoptées depuis aujourd’hui à l’annulation judiciaire, à la demande de n’importe quel plaideur, comme le rappelle aussi lucidement Serge Joyal. Le gouvernement fédéral devrait, dans l’intérêt de la stabilité juridique, invoquer sans tarder son pouvoir de désaveu.

(Mais là encore, politique a souvent obligé au Canada, au mépris des textes.)

Jour dramatique donc pour la monarchie québécoise. Non seulement tous les élus de l’assemblée nationale vassaux ont insolemment trahi leur serment prêté à leur suzerain en votant en faveur d’une loi moralement régicide, mais est particulièrement paradoxale la signature du lieutenant-gouverneur, représentant personnel du successeur d’Henry VIII, beau-papa de Meghan (dont le nouveau documentaire diffuse sur Netflix évoque une atmosphère qui rappelle plus “Othello” que “Guess who’s coming to dinner”), et bon-papa d’Archie et de Lillbet, à savoir notre monarque per gratiam Dei.

En résumé, en l’état du droit, nulle province canadienne n’a le pouvoir de s’affranchir du féodal article 128. La volonté populaire est sans pertinence, voire impertinente. Peu importent les vaines arguties juridiques : seul le parlement canadien peut souverainement abroger cette disposition par une loi. S’il doit y avoir une “nuit du 4 août”, elle se fera à Ottawa et non pas à Québec.

Même (et surtout) en théocratie canadienne, ne serait non plus d’aucune utilité la bénédiction conjointe du pape, du patriarche orthodoxe à Istanboul, du télévangéliste Kenneth Copeland, du grand mufti du Kazakhstan et enfin du grand rabbin sépharade de Belgique.

Dieu et mon droit!

LP